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Enfer en Haïti : Port-au-Prince aux mains des gangs : l’État a disparu

Jimmy ‘Barbecue’ Chérizier, un ancien policier, est devenu le chef du gang le plus puissant de la capitale haïtienne

Le chaos règne à Port-au-Prince. Autrefois capitale d’Haïti, la ville est désormais une zone de guerre contrôlée à 90 % par des gangs lourdement armés, selon les Nations unies. Les institutions ont été submergées. Les écoles sont fermées, les hôpitaux incendiés, et les rues jonchées de cadavres. L’État haïtien, déjà fragilisé depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021, a pratiquement cessé d’exister.

« Nous sommes piégés ici. La mort est partout. J’ai vu des gens se faire tuer sous mes yeux. On ne peut rien faire, sauf prier pour ne pas être les prochains », témoigne un habitant, resté anonyme pour sa sécurité.

Le vide politique et la montée des milices

Les corps sans vie devant les maisons sont devenus la norme dans les villes haïtiennes

Depuis la mort brutale du président Moïse, abattu dans sa chambre par des mercenaires étrangers, aucun dirigeant légitime n’a pris la relève. Les gouvernements intérimaires se sont succédé sans succès, laissant place à un vide de pouvoir dans lequel se sont engouffrés les gangs.

Parmi eux, le plus redouté est le G9 Famille et Alliés, dirigé par Jimmy « Barbecue » Chérizier, un ex-policier devenu chef de guerre. Ce dernier a juré de « nettoyer » la société haïtienne, non par les urnes mais par la terreur : exécutions sommaires, civils brûlés vifs, policiers décapités, femmes violées, enfants enrôlés de force.

« C’est l’enfer sur terre. Il faut marcher sur des œufs, surveiller chaque parole. Ce n’est pas une vie », confie encore le même résident.

Des massacres méthodiques

En décembre 2024, dans le quartier de Cité Soleil, près de 200 personnes, principalement âgées, ont été massacrées par des gangs. En octobre, le gang Gran Grif a attaqué la ville de Pont-Sondé, tuant bébés, femmes enceintes et vieillards, souvent brûlés vifs dans leurs maisons.

En janvier 2023, 18 policiers ont été exécutés, leurs corps démembrés et suspendus aux poteaux électriques — un message glaçant au pouvoir en place. La vidéo de la scène a circulé sur WhatsApp avant toute réaction des autorités.

Les enfants : victimes ou soldats malgré eux

Les gangs utilisent les enfants comme armes de guerre. Les filles — certaines âgées de seulement trois ans — sont violées lors de raids domiciliaires. Certaines tombent enceintes et, faute d’accès sécurisé à l’avortement, recourent à des méthodes clandestines, selon Amnesty International.

Les garçons, eux, sont recrutés dès 10 ans. On les forme comme espions, porteurs ou assassins, pour un quotidien de sang et de terreur. L’UNICEF alerte sur une explosion des violences sexuelles à l’encontre des mineurs.

Un système de santé en ruines, la population abandonnée

A Port-au-Prince une femme s’accroche à son enfant, fuyant le feu créé par des gangs ayant incendié des pneus

Six hôpitaux sur dix sont fermés. Les gangs y volent médicaments et oxygène, et tuent les patients suspectés d’être liés à la police. L’électricité est coupée, les routes bloquées, les check-points se multiplient, parfois exigent de l’argent… ou du sang.

« Les cadavres restent dans la rue pendant des jours. Personne n’ose les toucher », racontent les riverains.

 Journalistes traqués, informations étouffées

Neuf journalistes ont été tués en 2022. Les autres sont menacés, blessés, ou contraints à l’exil ou l’anonymat. En décembre dernier, une fusillade a visé un groupe de reporters, faisant plusieurs blessés. La liberté de la presse est devenue un acte de bravoure quasi suicidaire.

 Intervention internationale : trop peu, trop tard ?

En Haïti, il est fréquent de voir des corps dans la rue pendant plusieurs jours, sans que personne n’y touche

La mission de paix dirigée par le Kenya, approuvée par l’ONU, n’a déployé que 1 000 soldats sur les 2 500 requis. La communauté internationale, échaudée par les abus de l’occupation onusienne de 2004 à 2017, reste frileuse.

Pendant ce temps, les gangs se renforcent. Ils reçoivent des armes depuis la Floride, pillent les stocks de la police, contrôlent les dépôts de carburant, les chaînes d’approvisionnement et les corridors humanitaires.

 Vers un effondrement total de l’État ?

Le spectre d’un État failli en permanence hante désormais Haïti. Les élections sont reportées à 2026. Le gouvernement de transition peine à survivre. Plus de 1,3 million de personnes déplacées vivent dans des camps de fortune. La famine guette.

Face à l’inaction, certains citoyens prennent les armes. Leur logique est simple : tuer ou être tué.

Des soignants portent un homme tué par des membres d’un gang

Ce n’est ni un tremblement de terre, ni un cyclone. Ce n’est pas une catastrophe naturelle. C’est un désastre orchestré par des criminels. Un effondrement méthodique d’une nation jadis debout, aujourd’hui à genoux. « Haïti a déjà connu l’enfer. Mais cette fois, je ne sais pas si nous pourrons nous relever », lâche un habitant, la voix brisée.

Le monde regarde. Mais Haïti, elle, saigne en silence.

Olivier ALLOCHEME

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