
L’information a circulé ce week-end : la vice-présidente du Bénin serrant la main du ministre gabonais des Affaires étrangères, dans une mise en scène de réconciliation diplomatique. Avant elle, le ministère béninois des affaires étrangères avait publié un communiqué appelant à l’apaisement. Ce sont des signes d’une normalisation après la tempête qui, ces dernières semaines, a secoué les relations entre les deux pays. Mais derrière les sourires officiels, il serait naïf pour les Béninois du Gabon de croire que le danger est écarté. Les faits sont têtus, et ils rappellent avec brutalité que l’histoire se répète souvent aux dépens de ceux qui l’oublient.
L’épisode récent parti de Lambaréné, où des commerçantes béninoises ont été violemment prises à partie dans une atmosphère de chasse aux sorcières, n’est pas un accident isolé. Il s’inscrit dans une tradition inquiétante d’hostilité vis-à-vis des étrangers en Afrique centrale, et particulièrement au Gabon. L’opinion publique gabonaise, chauffée à blanc sur les réseaux sociaux, a désigné les Béninois comme responsables de tous les maux économiques. Cette vague xénophobe a été attisée par la décision prise par le gouvernement d’interdire les petits métiers aux étrangers, en visant bien sûr les Béninois. Voilà un pays dont l’essentiel des matières premières est aux mains des grandes compagnies multinationales qui y font des milliers de milliards chaque année, mais dont le gouvernement choisit pourtant de fermer les yeux sur cette réalité pour s’attaquer à ceux qui cherchent juste 1000 ou 2000F par jour pour survivre. Non, l’apparente désescalade de la semaine dernière ne doit pas endormir nos compatriotes installés à Libreville, Port-Gentil ou Lambaréné.
Car l’histoire est là, et elle parle d’elle-même. En 1978, le Gabon a expulsé plus de 10.000 Béninois de son territoire, dans une brutalité dont beaucoup portent encore les cicatrices. Ce précédent doit rester dans toutes les mémoires. À l’époque, Omar Bongo avait choisi d’utiliser cette méthode pour répondre à l’humiliation que lui a infligée Mathieu Kérékou lors d’un sommet de l’ex-OUA à la suite de l’agression des mercenaires en 1977. C’est bien de Franceville au Gabon que provenaient les mercenaires financés par la France. Le pouvoir gabonais d’aujourd’hui, issu d’un coup de force militaire, navigue à vue. Les promesses de prospérité tardent à se matérialiser et les frustrations sociales s’accumulent. Dans un tel contexte, il est illusoire de croire que les étrangers, en particulier les Béninois nombreux dans le petit commerce, ne redeviendront pas demain les boucs émissaires d’un régime en quête de légitimité.
Ce n’est pas seulement le Gabon. Toute l’Afrique centrale est traversée par cette tentation xénophobe. La Guinée équatoriale, voisine, a déjà donné maints exemples de harcèlement et d’expulsions massives d’Africains de l’Ouest. L’étranger y est souvent perçu comme intrus, voire parasite, malgré sa contribution à l’économie locale. Le Gabon n’échappe pas à cette logique : lorsque la conjoncture s’assombrit, le populisme prospère, et l’étranger devient la cible facile. Les mesures administratives restrictives prises récemment par Libreville à l’encontre des étrangers, sont toujours en vigueur. Rien n’a été abrogé. La poignée de main diplomatique ne change rien à cette réalité.
Face à cette menace persistante, les Béninois du Gabon doivent entendre ce que la situation crie entre les lignes : il est temps de réfléchir sérieusement au retour au bercail. Non pas dans la panique, mais avec lucidité. Il ne s’agit pas de rentrer tout de suite, mais de préparer son retour dès maintenant. Car lorsque le général Brice Oligui N’Guéma sera confronté à la réalité de son échec, il ne tardera pas à désigner les étrangers comme boucs émissaires.
Ceux qui ont connu le drame de 1978 savent comment des milliers de nos parents ont été traités comme des chiens, rapatriés sans rien pour se retrouver au pays. Ce qui s’est passé ces derniers est un signal d’alerte. Car mieux vaut rentrer dignement par choix que d’être humilié par la force.
Olivier ALLOCHEME