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Gouvernance et capital humain : Candide Ahouansou plaide pour  le mentorat de fin de carrière

L’ambassadeur Candide Ahouansou plaide pour une nouvelle approche de la transmission des savoirs dans l’administration publique. Selon lui, les cadres expérimentés représentent une richesse inestimable dont le pays ne peut se priver. Avant la retraite, la mise en place d’un mentorat de fin de carrière permettrait de consigner le savoir-faire, les leçons tirées de la pratique et les stratégies éprouvées, afin d’éviter que ces expériences disparaissent avec leurs détenteurs. Cette initiative, argumente l’ambassadeur Ahouansou, consoliderait la mémoire institutionnelle, faciliterait la relève, réduirait les conflits intergénérationnels et contribuerait à la modernisation et au développement durable de l’administration et du pays.

Lire ci-dessous l’intégralité de sa tribune et ses propositions pour un mentorat de fin de carrière et la valorisation de l’expérience professionnelle dans notre administration.

Immanence et problématique de l’expérience, pivot du développement

UN MENTORAT DE FIN DE CARRIÈRE

Le développement d’un pays résulte à n’en guère douter, du cumul des expériences professionnelles de ses citoyens, et rien ne fait de l’ombre à l’expérience. La problématique, c’est comment assurer sa consignation et sa conservation étant bien entendu que la transmission par voie orale, donc sans écriture, n’est qu’éphémère.

 Le savoir et le savoir- faire y relatif ont la particularité d’être une richesse que l’on ne perd pas en les transmettant ; tant s’en faut. Les êtres humains finissent par disparaître ; l’expérience quant à elle survit à jamais. Au terme de notre dernière réflexion portant contribution des personnes d’âge avancé au développement économique du pays, nous nous demandions s’il n’était pas opportun de réfléchir aux voies et moyens de transmettre leurs expériences à la postérité. C’est à ce questionnement que nous essayons d’apporter la réponse dans le développement qui suit.

LA TRANSMISSION DE L’EXPERIENCE SE PRÉPARE : LE MENTORAT DE FIN DE CARRIÈRE

  • Concept, constitution et avantage fondamental

Dans les esprits, l’expérience rime habituellement et sans nuance avec retraite et troisième âge, mais à y bien réfléchir, il convient de faire la part des choses. En fait, l’expérience n’attend pas l’âge de la retraite pour se constituer comme par enchantement ; elle s’acquiert tout au long de la carrière et c’est le point qui devrait en être fait au moment où elle prend fin. Dans notre Administration rien n’est prévu en ce sens. L’on part à la retraite tout guilleret ou la mine allongée, ne se souciant toutefois dans l’un ou l’autre cas, de laisser son empreinte. ‘’ J’ai joué ma partition, il appartient aux jeunes de se débrouiller pour jouer la leur » se dit le commun des partants à la retraite. A notre avis, l’Etat ne devrait pas être complice de cette situation en laissant les expériences professionnelles partir ainsi en fumée alors que dans un monde civilisé, aucun pays ne se construit sans leur mémoire. Et c’est pourquoi nous préconisons l’instauration d’un Mentorat de fin de carrière. Et qu’est-ce à dire ? Il s’agit concrètement de la préparation officielle de la relève des hauts cadres par la transmission ordonnée de leurs expériences. Au cours d’une période déterminée précédant sa retraite professionnelle, disons six mois, tout cadre supérieur ayant assumé une fonction de direction devra, aux fins de la nécessaire transmission de ses expériences à la postérité, consigner dans un rapport de synthèse de fin de carrière, l’essentiel de ce qu’il aura appris au cours de sa carrière non pas ressortant des enseignements théoriques qu’il a reçus, mais de la pratique qu’il en a faite, des difficultés qu’il a rencontrées et des enseignements qu’il en a tirés. Il mettra ainsi ses successeurs au fait des ficelles de la profession qu’il aura exercée toute sa vie professionnelle durant, leur épargnant, le cas échéant, les mêmes erreurs qu’il aura commises, enrichissant de ce fait l’Administration et sa gestion des affaires publiques. Le rapport sera déposé au Secrétariat général du ministère de tutelle. Il sera étudié par le Secrétariat et le Cabinet du ministère réunis en session conjointe, qui devront par ailleurs auditer son auteur et obtenir de lui les éclaircissements nécessaires et même, si besoin en était, lui demander la relecture du document. La preuve que ce que nous proposons ne devra d’aucune façon être perçu comme une simple formalité administrative réside dans les mesures qui suivent. Le monitorat de fin de carrière devra faire l’objet d’un décret présidentiel et constituer le préalable au paiement effectif de la pension de retraite à tous ceux qui ont assumé les fonctions de direction. La mesure n’a rien d’excessif. A dire vrai, il est choquant que les autorités qui nous ont dirigés jusqu’à lors n’aient pas pris une telle disposition entretenant de ce fait, quand bien même à leur corps défendant, l’idée que l’Administration est un fourre-tout sans idéal, un ramassis de ronds de cuir motivés par la seule stabilité de leur emploi plutôt que par l’initiative et la créativité. S’il est évident que l’on ne peut introduire la notion de productivité dans l’Administration d’autant qu’elle n’est pas une entreprise, du moins pourrait- on exiger d’elle l’efficacité.

  • Avantages résiduels du mentorat de fin de carrière

Outre la capitalisation des expériences acquises, le mentorat de fin de carrière que nous proposons contribuera à minimiser les incompréhensions et les conflits de génération à l’intérieur de l’Administration. En effet, de nos jours, les jeunes fonctionnaires, encore blancs- becs estiment cependant que les anciens sont dépassés et qu’ils n’ont plus rien à leur apprendre. De l’autre côté, les aînés imbus de leurs expériences s’y accrochent comme la prunelle de leurs yeux et se plaisent à regarder les jeunes avec condescendance. Alors, si les anciens laissaient par écrit le fruit de leurs expériences acquises au fil de leur carrière, les jeunes se feront rapidement à l’idée qu’il sied de s’adosser à ce qu’ont fait leurs devanciers s’ils veulent faire mieux qu’eux. Ils devraient alors faire profil bas et les respecter d’autant. Il est évident que l’Administration y gagnera en efficacité.

RESTITUTION ET LIMITES DE L’EXPERIENCE

  • Restitution dans le secteur public

Le Mentorat de fin de carrière s’impose et est exigible principalement dans l’Administration publique. Cela, parce que son efficacité en dépend d’autant qu’intrinsèquement, l’Administration ne fait pas de la créativité une norme de recrutement. Il n’en est pas de même pour le secteur privé, et pour cause.

  • Restitution dans le secteur privé

Dans ce secteur, du moins au niveau directionnel, l’on vient généralement mettre à sa disposition ce que l’on sait faire déjà. C’est un secteur d’initiative et de créativité, conditions nécessaires pour y avoir accès notamment à un poste de direction sans préjudice toutefois des promotions motivées à l’interne.

  • Les limites de l’expérience

Bien qu’allumant des lumières qui permettent de progresser, l’expérience se heurte à des limites. En effet, elle est généralement fondée sur des données existentielles, des données matérielles du moment. Mais ces données peuvent évoluer avec le temps bousculant de ce fait les expériences établies en fonction d’elles. Il n’est donc pas judicieux de donner à l’expérience un caractère définitif et figé. Et Confucius nous avait déjà avertis en nous laissant une pensée qui a le mérite de faire la part des choses : ‘’ l’expérience est une lanterne que l’on porte sur le dos et qui n’éclaire que le chemin parcouru ». En effet, elle ne garantit pas systématiquement le futur, chaque situation ayant sa spécificité.

AUTRES CANAUX DE TRANSFERT DES CONNAISSANCES : LES PERSONNES RESSOURCES, LES HOMOLOGUES

  • Les deux secteurs public et privé peuvent faire appel à ces personnes en cas de besoin. Elles possèdent des connaissances et des compétences dans des domaines d’expertise précis. Il leur est fait appel de manière ponctuelle pour des projets déterminés et par voie de recrutement ou d’avis d’appel d’offre.
  • S’agissant de transfert de connaissances par homologues interposés, Il me souvient que jadis quand nous venions d’accéder à la souveraineté nationale et que nous n’avions pas encore la totale maîtrise de la gestion des affaires publiques, deux mots-clés tenaient le haut du pavé dans l’Administration Publique : Coopération technique et Homologue

L’on affectait alors près d’un coopérant venu de l’étranger, un National, haut cadre généralement de même formation que lui sans avoir son expérience toutefois. Le National était censé s’approprier ladite expérience étrangère sur le tas afin d’assurer la relève quand le coopérant aura terminé sa mission de transfert d’expérience. Pourquoi un tel système de transfert de connaissance ne pourrait-il avoir cours de nos jours à l’interne, entre deux nationaux ? La question se pose avec d’autant plus de légitimité qu’au lendemain de notre indépendance politique la France affectait dans notre pays, avec le statut de coopérant, des nationaux qui venaient de terminer leurs études en France où qui travaillaient dans la Fonction Publique française. Mais, à y bien réfléchir, peut être que ce système pourrait faire de l’ombre aux personnes ressources et porter atteinte à leurs intérêts.

Nous aimons à penser que notre proposition de Mentorat de fin de carrière accrochera les décideurs. Elle vaut pour le moins autant que valent les multiples réformes opérées par le gouvernement dans divers domaines. Lorsqu’un pays n’accorde pas l’importance qui lui revient à la mémoire des expériences, c’est tout comme s’il pilait de l’eau dans un mortier.

Ambassadeur Candide AHOUANSOU

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