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Sabotage du Nord Stream : L’ombre d’une unité ukrainienne derrière l’explosion

Vladimir Zelensky et l’ancien chef d’Etat-major ukrainien, le général Valeriy Zaluzhny

Le mystère qui entoure les explosions ayant détruit les gazoducs Nord Stream 1 et 2 en septembre 2022 semble s’éclaircir. Après près de trois ans d’enquête, la justice allemande estime avoir identifié les auteurs de l’opération : un commando ukrainien de six personnes, dirigé par un ancien officier du renseignement maritime.

Une soirée d’ivresse devenue opération militaire

Tout aurait commencé en mai 2022, un mois après l’échec du siège de Kyiv par les forces russes. Des officiers ukrainiens, galvanisés par leur résistance, auraient évoqué autour de quelques verres l’idée de frapper Moscou au portefeuille. La cible idéale ? Les gazoducs Nord Stream reliant la Russie à l’Allemagne, symboles de la dépendance énergétique européenne vis-à-vis du Kremlin. Ce qui aurait pu rester une simple fanfaronnade aurait pris la forme d’une mission clandestine, baptisée « Opération Diameter ».

L’Andromeda, un vieux navire de croisière avait été loué dans le port allemand de Rostock

Le sabotage du siècle

Le 26 septembre 2022, plusieurs explosions sous-marines éventrent les deux conduites au large de l’île danoise de Bornholm. Près de 350 000 tonnes de méthane s’échappent dans la mer Baltique, équivalent aux émissions annuelles de CO₂ du Danemark. Très vite, les spéculations s’enflamment : Moscou pour intimider l’Europe, Washington pour torpiller un projet qu’il a toujours contesté, voire une opération conjointe de services secrets occidentaux.

L’hypothèse d’une action ukrainienne, bien que murmurée dans certains cercles de renseignement, paraissait alors politiquement explosive : comment imaginer que Kyiv, soutenu par ses alliés occidentaux, ait pu saboter une infrastructure sur sol européen ?

L’arrestation de Serhii K en Italie a tout changé dans l’enquête

L’arrestation de « Serhii K »

En août dernier, un tournant survient avec l’arrestation en Italie d’un certain « Serhii K », 49 ans, ex-capitaine de marine et ancien officier du renseignement ukrainien. Les procureurs allemands l’accusent d’avoir dirigé l’équipe de plongeurs et de logisticiens qui aurait posé les charges explosives à 80 mètres de profondeur, un travail d’une extrême technicité.

L’opération aurait été menée depuis le yacht Andromeda, loué en toute discrétion dans le port allemand de Rostock. Bateau de plaisance banal, surnommé « la Skoda des mers », il avait permis aux saboteurs de se fondre dans le décor des touristes de fin d’été. Les enquêteurs allemands affirment avoir retrouvé à bord des traces d’explosifs ainsi que des empreintes et ADN concordants.

Un puzzle policier

L’enquête allemande, nourrie par des renseignements néerlandais et américains, a progressivement reconstitué le puzzle. Un chauffeur de taxi, recruté par les saboteurs, a été photographié par un radar routier, fournissant ainsi aux enquêteurs une première piste. Les caméras frontalières, les téléphones portables et des indices laissés à bord de l’Andromeda ont permis d’identifier plusieurs membres du commando.

Certains éléments laissent penser que les auteurs auraient bénéficié de complicités officielles. L’un des véhicules utilisés aurait été enregistré au nom d’un attaché militaire ukrainien en Pologne. Un autre suspect aurait quitté précipitamment le pays après l’émission d’un mandat d’arrêt.

Démentis à Kyiv, embarras à Berlin

Ces révélations placent l’Allemagne dans une situation délicate. Depuis 2022, Berlin est devenu le deuxième soutien militaire et financier de Kyiv après Washington. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a toujours nié avoir autorisé l’opération, tout comme son ancien chef d’état-major, le général Valeriy Zaloujny, aujourd’hui ambassadeur à Londres. Des fuites d’enquête suggèrent toutefois qu’ils auraient été informés du projet, sans parvenir à l’arrêter.

La justice allemande, indépendante du pouvoir exécutif, entend malgré tout mener le procès de « Serhii K ». Ses cinq présumés complices, tous retournés en Ukraine, échappent à l’extradition.

Conséquences géopolitiques

Au-delà de la procédure judiciaire, cette affaire soulève des enjeux stratégiques majeurs. La destruction des Nord Stream a définitivement clos la coopération gazière russo-allemande et contraint Moscou à utiliser le transit via l’Ukraine, générant d’importantes redevances pour Kyiv.

Pour les experts en sécurité, l’attaque a agi comme un électrochoc. L’OTAN travaille désormais à la protection de ses infrastructures critiques, notamment maritimes, par la surveillance par drones et d’autres technologies. Mais cette affaire donne aussi à la Russie un argument : si Kyiv a osé saboter un gazoduc européen, le Kremlin pourra désormais justifier d’éventuelles représailles similaires.

Un procès à haut risque

Le procès de « Serhii K », attendu en Allemagne, pourrait bien devenir un moment de vérité. Officiellement, Berlin assure qu’il s’agit uniquement d’une affaire judiciaire. Officieusement, les autorités redoutent l’impact politique : reconnaître l’implication de soldats ukrainiens, même sans aval du pouvoir central, fragiliserait le récit de solidarité totale entre l’Europe et Kyiv.

Reste une certitude : l’explosion du Nord Stream a marqué un tournant dans la guerre russo-ukrainienne et dans l’histoire énergétique européenne. Si la justice confirme la thèse d’un commando ukrainien, ce sabotage apparaîtra comme l’une des opérations clandestines les plus audacieuses – et les plus embarrassantes – du conflit.

Olivier ALLOCHEME

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