La traite négrière reste un pan de l’histoire africaine encore chargé d’incertitudes, de silences et de controverses. Entre responsabilités des rois africains et brutalité des envahisseurs européens, la narration oscille souvent entre oubli volontaire, victimisation ou culpabilisation. Pour l’Ambassadeur Candide Ahouansou, il est temps que les Africains racontent leur propre histoire, non pas pour entretenir des rancunes stériles, mais pour offrir aux jeunes générations une lecture dialectique, équilibrée et mobilisatrice. Au-delà des souffrances du passé, il appelle à dépasser la fatalité pour bâtir un développement solidaire, tout en préservant la dignité et la mémoire des ancêtres. Lisez plutôt.

Opinion : Traite négrière et développement contemporain
LES INCERTITUDES D’UNE HISTOIRE DIFFICILE A SE FAIRE CONTER CRÛMENT
Les temps sont venus pour nous autres africains négroïdes de donner de plus en plus de la voix pour exposer notre façon de voir notre propre histoire, en l’occurrence celle de la traite négrière jusqu’alors pratiquement écrite par les seuls conquérants et son impact sur le développement de nos pays. Cela ne me paraît rien que légitime.
Discursivement, les temps de l’appréciation des responsabilités en la matière sont aussi arrivés et chacun y va de sa documentation et de ses certitudes ; cela est non moins légitime. Blaise Pascal ne nous avait-il pas déjà averti lorsqu’il écrivit ‘’Vérité en deçà des Pyrénées erreur en deçà’’ signifiant ainsi que ce qui est vérité pour une personne peut être une erreur pour d’autres ?
LE PARADYGME DE LA TRAITE NÉGRIÈRE
Qu’il me soit permis d’indiquer d’entrée de jeu que la présente réflexion que je mène n’a rien d’égal à celle d’un professionnel de l’histoire et pour cause ; je n’ai pas les compétences techniques requises. Mais en l’occurrence, il s’agit moins de déterminer des faits historiques que d’apprécier l’impact socio politique de ceux qui sont évoqués et qui restent hypothétiques en fin de compte. J’exprime alors un point de vue politique laissant la vérité historique aux historiens.
Il est de mon opinion de profane que, s’agissant de la traite négrière, l’on peut la conter à la génération montante de diverses manières dépendamment des buts visés.
- L’on peut mettre l’emphase sur le fait que les affres de la traite négrière ont pris fin chez nous il y a près de cent cinquante ans déjà et qu’elles relèvent à présent d’un passé lointain sur lequel il sied de baisser les rideaux à ne plus jamais en parler. Cette attitude prône l’oubli systématique. D’aucuns l’estiment pour le moins téméraire, car elle fait délibérément l’impasse sur les atrocités et les injustices subies par nos ancêtres. L’on peut estimer qu’elle a cependant l’avantage de prévenir et d’enrayer des cœurs toute animosité stérile envers les envahisseurs de jadis ainsi qu’envers leur descendance.
- L’on peut, à l’inverse, rappeler à la jeune génération que la traite a épuisé nos forces vives, nos bras les plus valides ainsi que nos ressources humaines dans la violence. Nous étions des esclaves et l’on ne fait pas dans la dentelle avec des esclaves. Cette attitude ne prône pas l’oubli ; tant s’en faut. Elle présente le risque d’entraîner des rancœurs stériles et des conflits, il est vrai. Elle a néanmoins, en mettant les choses au mieux, l’avantage de permettre de prendre conscience de ce que nous avons été et de ce que nous avons perdu mais aussi du chemin qui nous reste à faire pour rétablir notre dignité d’humain. La jeune génération pourrait alors, par réaction, se résoudre à travailler d’arrache- pied pour compenser ce dont les envahisseurs nous ont dépouillés.
L’on peut également, d’un autre côté, considérer les responsabilités en matière de ce honteux commerce d’humains et les conter aux jeunes de deux manières différentes qui ne se neutralisent pas nécessairement à la condition d’y mettre les nuances qui s’imposent et les bémols là où il faut. Ainsi, l’on peut dire crûment aux jeunes que la responsabilité de la traite négrière incombe sans autre forme de procès à nos rois qui ont accepté plus d’un siècle durant de vendre leurs sujets aux Portugais, aux Français, aux Anglais et aux Hollandais. On ne les y aurait pas forcés ; ils auraient agi de leur propre gré contre espèces sonnantes et trébuchantes et autres pacotilles. Leur responsabilité serait totale ; et c’est là où le bât blesse et qu’intervient le débat. En effet, l’on peut tout aussi crûment soutenir de contradictoire et antithétique manière que cette responsabilité revient aux envahisseurs ainsi que nous allons l’exposer. Comme quoi Blaise Pascal disait la vérité. Mais alors que devons-nous léguer à la jeunesse dans ce contexte de controverse ?
LA VICTIMISATION
Certains esprits estiment que la seule traite négrière explique et justifie notre sous- développement contemporain notamment économique et se complaisent dans cette idée regardant ainsi dans le rétroviseur au lieu d’avancer à partir du présent. Cette manière de penser est défaitiste et il convient d’éviter que les jeunes se l’approprient. Peut- être est- ce précisément pour parvenir à cette fin que d’aucuns introduisent la notion de responsabilité dans le débat ? L’on peut comprendre en effet qu’il serait bien difficile de galvaniser les jeunes en vue de l’édification de leur pays sans évoquer ce paramètre responsabilité dans la traite négrière. Il convient de les convaincre qu’ils doivent aller de l’avant contre vents et marées en ayant à l’esprit que notre sous-développement résulte plus de nos propres défaillances que des avatars de la traite négrière de jadis qui a été certes une réalité mais qu’ils devront transcender. Peut – être les tenants de cette façon de voir pensent – ils que les jeunes rivaliseront ainsi d’ardeur pour s’investir de leur mieux dans le développement de notre pays ? Je ne sais pour sûr. Il y a cependant lieu de préjuger, tout bien pesé, que la méthode à quelques chances d’être payante. Mais est – ce raison suffisante pour jeter toutes la responsabilité de la traite dans le camp de nos rois sans nuance de quelque sorte ?
LA NÉCESSITE DE L’ÉCRITURE D’UNE HISTOIRE EN FORME DIALECTIQUE
Il est de mon opinion que nos historiens devraient faire feu de tout bois pour continuer d’écrire notre propre histoire de l’ère de la traite en la plaçant dans un processus dialectique. Les conquérants ont présenté leur thèse, leur façon de voir les choses en toute indépendance et à leur guise avec l’esprit du vainqueur. Nous avons maintenant les moyens de présenter l’antithèse et il sied que nous n’y laissions aucune faille qui rejoigne et corrobore sans raison suffisante leur façon de présenter l’histoire de la traite des Noirs. Une phase antithétique pure et dure certes, mais véridique. Puis l’avenir fera la synthèse pour une identification objective des faits et une meilleure compréhension de ceux-ci. Sauf déficit d’information de ma part la traite négrière aurait eu cours dans notre pays grosso modo pendant un siècle et demi sous réserve de confirmation par les professionnels de l’histoire. Je ne pense pas qu’il soit politiquement correct de nier que pendant toute cette période nos rois n’aient pas, pour une raison ou une autre, eu à vendre leurs sujets dans un monde alors peu civilisé. Aujourd’hui l’on procède à des échanges de prisonniers avec la partie adverse, il est vrai. Mais nos rois n’en détenaient pas de la partie adverse ; ce qui ne pouvait leur permettre de procéder à de tels échanges. Dans leur entendement, la solution pragmatique c’était de vendre les prisonniers qu’ils détenaient au lieu de supporter leur charge en prison ou de les éliminer en pure perte. Nous devrions par ailleurs, faire valoir aux jeunes que notre pays a été purement et simplement victime d’une agression caractérisée. Ce ne sont pas nos rois qui ont invité les commerçants esclavagistes à venir dans notre pays. Ces derniers y ont fait intrusion par la force et dans un but précis : s’attribuer des esclaves. La responsabilité première de cette traite leur incombe donc sans conteste en considérant aussi bien l’attaque physique, sa violence que l’intention qu’était celle de causer du tort à autrui. Tous, éléments constitutifs d’une agression caractérisée classique d’autant plus condamnable que le respect des droits de l’homme était déjà en vigueur et chose acquise chez les envahisseurs depuis 1789. Ce sont eux qui entraient à l’intérieur des terres lorsque les esclaves que nos rois leur livraient ne faisaient pas le compte pour remplir les négriers en échange des pacotilles qu’ils leur offraient. Nous devrions mettre en exergue et les faire valoir auprès des générations montantes nos rois qui ont eu le courage de contester la traite et dont les envahisseurs se sont évertués à ternir l’image. Nous devrions mettre à la disposition des jeunes des documents authentiques tel le Code noir de 1685 de Louis 14 maisi aussi le Traité de Berlin de 1884 et les intégrer aux programmes scolaires. Nous devrions également mettre à leur disposition des supports audiovisuels qui racontent la traite négrière. Je pense à ce film franco-italien dénommé Tomango paru sur les écrans français en 1958 qui traitait de la révolte des esclaves sur un négrier. J’ai eu l’occasion de le voir ; il était édifiant. Nous devrions amener la jeune génération à baptiser nos rues au nom des personnes qui en Europe, en Afrique et ailleurs ont défendu la cause des Noirs et ont pesé de manière déterminante sur l’avènement de l’abolition de la traite négrière. Nos rois ont fait l’histoire avec les conceptions du moment et l’évolution des esprits du moment. Ils méritent respect en tous points et à tous égards.
LA NOUVELLE DONNE
Aujourd’hui que nous nous émancipons sur tous les plans ; aujourd’hui que nous clamons notre identité culturelle et que nous obtenons la restitution de nos éléments de culture qui nous ont été volés par les envahisseurs ; aujourd’hui que nous nous affirmons de plus en plus sur l’échiquier international avec de bonnes références des diverses agences de notations; aujourd’hui que le monde politique nous regarde, qu’il plaise à tout un chacun de nous de veiller à ce qu’aucune note démobilisatrice ne vienne briser le mouvement libérateur qui s’est instauré ces temps-ci-dans les esprits.
Ambassadeur Candide AHOUANSOU