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Infrastructures et intégration régionale : Jean-Pierre Edon appelle à une rénovation urgente du chemin de fer béninois

Dans une tribune signée par Jean-Pierre A. Edon, Ambassadeur et spécialiste des questions internationales, l’auteur attire l’attention sur l’importance stratégique du chemin de fer pour le développement du Bénin. Alors que plusieurs pays africains investissent massivement dans le rail pour fluidifier le commerce, réduire les coûts de transport et renforcer leur souveraineté logistique, le Bénin reste en retard sur la modernisation de son corridor Cotonou–Niamey. Pour l’Ambassadeur Edon, ce patrimoine national ne saurait disparaître au moment où le pays a besoin d’accélérer son intégration régionale et de soutenir son économie. Il appelle les décideurs, notamment à l’approche de la présidentielle de 2026, à inscrire la rénovation ferroviaire parmi les priorités nationales. Lisez ci-après l’intégralité de son opinion.

LE CHEMIN DE FER, FACTEUR DE DEVELOPPEMENT : CAS DU BENIN

Le chemin de fer est l’un des modes de transport les plus anciens et toujours valables. Au fil du temps il a connu d’énormes progrès technologiques au point que de nos jours, il existe des trains à grande vitesse confortables et opérationnels. Son apport au développement économique est considérable et nombreux pays au monde en sont conscients, surtout les côtiers.

Quelques atouts de ce mode de transport

Le transport ferroviaire présente des avantages certains. A ce titre, on peut évoquer une capacité de transport élevée, un impact environnemental réduit, des coûts potentiellement plus bas pour le transport de grandes quantités de marchandises sur une longue distance, et une plus grande fiabilité que certains autres modes de transport. Il favorise les échanges commerciaux, réduit la pollution de l’air et les émissions de particules fines.

Moins cher et adapté au transport de produits lourds qui endommagent les routes, le chemin de fer est créateur d’emplois et offre plus de sécurité que les routes en ce sens que les accidents ferroviaires sont moins fréquents. Ce sont autant d’atouts qui justifient son maintien, son développement dans nombre de pays au monde, en Afrique en particulier.

Des mouvements ferroviaires dans le monde

En Amérique, en Europe, en Asie et particulièrement en Chine, son utilité et ses innovations technologiques se passent de commentaires. Ne voulant pas rester en rade, les pays africains aussi en font, à juste titre, une préoccupation économique.

La preuve en est le projet de construction de chemin de fer entre la Tanzanie, le Burundi long de 282km, voie unique électrifiée à écartement standard. La Banque Africaine de développement débloque à cet effet 700 millions de dollars. Le groupe de la Banque fournira au Burundi 98,62 millions de dollars sous forme de don et 597,79 millions de dollars à la Tanzanie à titre de prêt et de garantie. Un autre projet ferroviaire reliant la Tanzanie, le Burundi et le Congo Démocratique est prévu et fait déjà l’objet de plusieurs accords de financement.

 Ce projet tripartite vise l’intégration régionale, le développement économique, la réduction des coûts de transport, la fluidité commerciale et la souveraineté logistique.

A l’Est du Benin, le Nigeria s’active dans la construction de l’axe ferroviaire Niger-Nigeria.  Cette interconnexion avec son voisin constitue une étape importante d’un plan à double objectif : reconquérir le trafic perdu au profit des ports des pays frontaliers, notamment celui de Cotonou, et dynamiser les échanges transfrontaliers. Le taux de réalisation actuel est de l’ordre de 61%. Ce projet vient compléter la voie à écartement standard Kaduna-Kano dont les travaux très avancés pourraient s’achever en 2026. Dans ce mouvement prospectif des rails, quelle est la position du Benin ?

Situation des rails au Benin

Bien avant les indépendances en 1960, le Benin autrefois Dahomey dispose du chemin de fer à écartement métrique composé d’une ligne principale Cotonou- Parakou longue de 438 km et de deux lignes secondaires Cotonou-Pobè et Cotonou-Sègbohoué. Il était géré pour le compte du Benin et du Niger depuis 1930 par l’Organisation Commune Benin- Niger (OCBN).

Son Directeur General a toujours été un Béninois et le Directeur Général Adjoint un Nigérien. La conception de cette organisation commune relève de l’esprit que le port de Cotonou est considéré comme étant aussi celui du Niger, et pendant des décennies le système a bien fonctionné.

Dans le cadre du développement de cette voie ferrée, et pour faire face à certaines difficultés, le Benin et le Niger ont signé en novembre 2013 un protocole d’entente pour la réalisation d’une ligne ferroviaire reliant Cotonou à Niamey. A terme ce projet auquel le groupe Bolloré participe en tant que partenaire stratégique, devrait relier Cotonou à Abidjan via Niamey et Ouagadougou, soit près de 3000 km au total.

 Ce  projet financé par l’homme d’affaires français  et visant à construire une ligne de 574 km reliant Niamey à Parakou, devrait être achevé en 2018. Une partie de ce trajet entre Niamey et Dosso (Niger) a été construite mais n’a jamais été mise en service. L’interruption des travaux de construction de cette voie ferrée entre les deux pays, relève de différends sur le maître d’œuvre.

 Le Niger soutient le partenaire français Bolloré, tandis que qu’au Benin, la société Pétrolin se plaint d’avoir été le seul soumissionnaire et a saisi le tribunal. A la suite d’une décision de justice du 19 novembre 2015, Bolloré a dû arrêter les travaux au Benin, et le 29 septembre 2017, la cour suprême a rejeté son recours.

C’est alors que le Gouvernement béninois a proposé comme alternative un groupement des deux entreprises ou la China Railway Construction Corporation (CRCC). Des contacts auraient été pris avec cette compagnie chinoise qui va certainement se manifester d’un moment à l’autre, si les négociations sont concluantes. Dans le cas contraire, il va falloir recourir aux institutions financières internationales ou définir de nouvelles bases de négociations avec le groupe Bolloré et la société Pétrolin. Ainsi seront apaisées les inquiétudes et les interrogations incessantes des Béninois par rapport à l’avenir des rails dans leur pays.

Nécessité et utilité de la rénovation des rails

En effet, aucune stratégie ou politique économico-sociale ne saurait justifier la probable disparition ou la mise en berne de la voie ferrée au Benin, un pays côtier de surcroit, disposant d’un port maritime, en ce moment où les reformes en cours sont de nature à susciter le décollage économique.

Il est évident que ce mode de transport est un des vecteurs du développement, comme l’attestent les projets intégrationnistes au niveau des pays africains ci-dessus cités. Le cas du Nigéria qui est en voie de se connecter au Niger ne saurait laisser indifférent le Benin qui risque de perdre définitivement le trafic destiné à Niamey, si les précautions et mesures appropriées ne sont pas prises au moment opportun.

Il s’avère alors nécessaire qu’une attention particulière soit accordée au corridor ferroviaire Cotonou-Niamey. Il s’agira de relancer ce projet d’intégration régionale en cherchant son financement partout où les conditions sont favorables. En général, et comme le prouve le projet tripartite Tanzanie, Burundi, République Démocratique du Congo, les institutions financières internationales, chinoises et arabes sont favorables au financement des projets régionaux du genre, impactant deux ou plusieurs pays.

 La meilleure manière pour le Benin de garder le trafic du Niger passant par le port de Cotonou est de mettre tout en œuvre pour réaliser le plus tôt possible le corridor ferroviaire Cotonou- Niamey. A défaut de le faire, le Niger préfèrerait utiliser la voie ferrée Kano- Maradi en cours de construction.

Proposition d’un nouveau projet de connexion ferroviaire régional

Pour compléter le corridor Cotonou- Niamey, le Benin peut initier conjointement avec le Nigeria la connexion ferroviaire entre Parakou et Abuja, les deux villes étant situées sur la même altitude. Elle permettra de convoyer depuis le port de Cotonou les marchandises destinées au Nord du Nigeria. Ses avantages sont, entre autres, la rapidité et la sécurité des biens pour les commerçants nigérians de Kano et d’autres villes commerciales du septentrion. Du côté béninois, c’est l’accroissement de la rentabilité du port de Cotonou. N’étant pas riche en ressources naturelles du sous-sol, le Benin gagnerait à promouvoir les services.

 Il est d’une nécessité impérieuse que le chemin de fer soit rénové. Dans cette perspective des dispositions devront être prises pour le maintien et la sécurisation des espaces et patrimoines appartenant  à la voie ferrée du Sud au Nord et dans le plateau.

 Nostalgiques du passé, nombreux sont les Béninois qui souhaitent et espèrent entendre encore le sifflement du train ancré dans leurs habitudes, et profiter des emplois qui en seront créés, en ce moment où le chômage constitue un défi à relever.

Il est alors souhaitable que la rénovation de la voie ferrée soit une préoccupation pour les candidats aux prochaines élections présidentielles en 2026, par son inscription dans leurs projets de société et qu’elle figure en bonne place dans le programme d’action du nouveau gouvernement issu desdites élections. Le chemin de fer est un acquis important, un patrimoine national qu’il faudra coûte que coûte préserver et moderniser au Benin. Il en sera ainsi par la grâce de Dieu.

Jean-Pierre A. EDON

Ambassadeur, spécialiste des questions internationales.

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