En marge du sommet de la CEDEAO tenu le 21 juin 2025 à Abuja, le Benin et le Nigeria ont conclu un accord pour renforcer l’intégration économique. Cet accord est salutaire selon l’Ambassadeur et spécialiste des questions internationales, Jean-Pierre A. EDON. Car, dans son analyse, il apprend que l’obstacle réel à la réalisation de l’intégration économique des pays de la CEDEAO depuis ces 50 dernières années, est l’absence notoire de la volonté politique. « Les Etats membres n’ont pas bien intégré la conception que le succès de l’institution relève de la renonciation tacite d’une légère partie de la souveraineté nationale pour constituer la souveraineté commune des Etats impliquant la solidarité régionale », a-t-il écrit. Cependant, face à ce tableau peu reluisant, l’initiative que viennent de prendre les présidents Tinubu et Talon, pour lui, est salutaire et mérite d’être soutenue. Une bonne application de cette entente et des résultats qu’elle engendrera pourront contribuer à accélérer l’intégration stratégique régionale, en ce sens que les autres pays, ne voulant pas rester en rade, mettront tout en œuvre pour suivre l’exemple bénino-nigérian qui deviendra alors un stimulant.

L’INTEGRATION DES ECONOMIES DU BENIN ET DU NIGERIA
En marge du sommet de la CEDEAO tenu le 21 juin 2025 à Abuja, le Benin et le Nigeria ont conclu un accord historique d’intégration économique. Nouvel engagement dans les relations entre les deux pays voisins, cet accord marque un pas décisif dans la coopération bilatérale.
Objectif de la CEDEAO
Signé le 28 Mai 1975, le traité de Lagos a jeté les bases de la CEDEAO, une organisation dont l’objectif principal est de favoriser l’intégration économique à travers la création d’un marché commun, la coopération entre les Etats membres ainsi que la promotion du commerce. Il vise la création d’une union économique et monétaire pour promouvoir la croissance économique et le développement.
A l’occasion de ses 50 ans d’existence au mois de Mai 2025, le président de sa commission a reprécisé son objectif qui demeure la paix, la sécurité, la protection sociale.
Son bilan de 50 ans d’activités est mitigé et se trouve largement loin de ce qu’on pouvait espérer, malgré les succès enregistrés dans le maintien de la paix dans certains pays où la paix et la sécurité sont menacées. Le résultat le plus remarquable reste la libre circulation des personnes et des biens grâce aux dispositifs du schéma de libération des échanges (SLE).
Quelques difficultés dans les activités de l’organisation
Encore qu’à ce niveau, des efforts restent à faire pour améliorer le mécanisme. L’objectif principal qu’est l’intégration économique apparait comme un idéal difficile à atteindre, à cause, entre autres, du fait que les pays membres sont jaloux de leur souveraineté et chaque Etat évolue unilatéralement comme s’il n’est pas concerné par l’objectif de l’organisation dont il est membre.
Il en est ainsi parce que les Etats membres n’ont pas bien intégré la conception que le succès de l’institution relève de la renonciation tacite d’une légère partie de la souveraineté nationale pour constituer la souveraineté commune des Etats impliquant la solidarité régionale ; celle-ci étant le pilier du fonctionnement optimal de l’organisation en vue d’obtenir des résultats tangibles qui soient le reflet de la prospérité régionale partagée.
L’union monétaire qui devrait être le facteur propulseur de l’intégration économique est renvoyée aux calendes grecques et les échanges commerciaux sont quasi insignifiants. La renonciation à une partie de la souveraineté implique la priorité à accorder à la législation de l’institution régionale qui passe avant celle de chaque nation membre.
Un autre constat à évoquer est la préférence accordée à l’importation depuis l’extérieur d’un produit disponible dans un pays de l’espace CEDEAO. Cette pratique explique la faiblesse du commerce intra-communautaire qui est seulement de l’ordre de 10 à 15% du commerce total. C’est aussi les conséquences de la persistance des barrières non tarifaires, de dysfonctionnements logistiques ainsi que du niveau très faible de l’industrialisation de nos pays.
Face à ce tableau peu reluisant, l’initiative que viennent de prendre les présidents Tinubu et Talon, est salutaire et mérite d’être soutenue. Une bonne application de cette entente et des résultats qu’elle engendrera pourront contribuer à accélérer l’intégration stratégique régionale, en ce sens que les autres pays, ne voulant pas rester en rade, mettront tout en œuvre pour suivre l’exemple bénino-nigérian qui deviendra alors un stimulant.
Les points forts de cette entente
Le contenu de cet accord porte sur les éléments constitutifs d’une intégration économique. Il s’agit des mesures concrètes suivantes :
- Harmonisation douanière et réduction des barrières tarifaires.
- Développement conjoint de corridors commerciaux et logistiques.
- Facilitation des formalités transfrontalières.
- Renforcement de la coopération énergétique et industrielle
C’est à juste titre qu’à l’occasion de la signature de cette entente le président béninois Patrice Talon a notamment déclaré que << cet accord ouvre un nouveau chapitre de prospérité partagée entre nos deux peuples >>. A son tour le président Ahmed Bola Tinubu du Nigéria a salué << une vision commune d’une Afrique de l’Ouest résiliente, souveraine et tournée vers le progrès >>.
Il est à espérer que les déclarations des deux chefs d’Etat seront suivies d’effet pour faire la différence avec les accords précédents tel celui de Badagry qui sont restés presque sans suite et tendent à passer dans l’oubli.
Aussi, le défi qui revient à ces Hautes Autorités de relever reste-il la mise en application effective de cette entente de façon à rendre concrètes et visibles ses retombées permettant de procéder à un bilan positif dans les années à venir.
La volonté politique et quelques recommandations
L’obstacle réel à la réalisation de l’intégration économique des pays de la CEDEAO depuis ces 50 dernières années, est sans risque de se tromper, l’absence notoire de la volonté politique. On se sert du principe de souveraineté nationale reconnu par le droit international pour dissimuler les insuffisances en matière de volonté politique. Or sans elle, rien de viable n’est possible. Au lieu d’avancer dans la voie du progrès et de la solidarité, on ne fait que trébucher depuis des décennies.
Il est alors souhaitable que dans le cadre du présent accord, la volonté politique se manifeste car elle représente le souffle qui donnera la vie à cette coopération bilatérale salutaire. A cet effet, un certain nombre de précautions est à prendre : la mise en place au Benin et au Nigeria, d’un comité de suivi de l’application de cet engagement juridique. De façon périodique les deux comités se rencontreront pour procéder à une évaluation, échanger sur les acquis obtenus et sur les difficultés rencontrées.
A court ou moyen terme, des efforts devront être faits pour une convergence des économies des deux pays, disposer d’un canevas de données économiques servant d’orientation dans la politique économique et financière.
C’est à juste titre que l’Ambassadeur Theodore Loko, enseignant et chercheur écrivait dans son évaluation des 50 ans de création de la CEDEAO que << l’intégration économique ne peut être durable sans transformation structurelle des économies, sans équité dans les investissements et sans institutions financières régionales robustes >>.
Dans cette appréciation de l’Ambassadeur chercheur, figurent des paramètres utiles pour une parfaite réussite de cette entente bilatérale. Son succès dans la pratique fera tache d’huile en Afrique de l’Ouest pour le renforcement, voire l’accélération du processus d’intégration régionale qui peine à décoller.
Aussi, la critique habituelle selon laquelle l’institution régionale est l’affaire des élites au sommet et non celle des peuples, cessera-t-elle d’être ainsi formulée par le public.
De toutes les manières, l’acte historique posé par les deux chefs d’Etat, de par son originalité et opportunité, mérite une forte approbation et soutien sans réserve. Aucun effort ne sera donc ménagé pour atteindre dans de bonnes conditions l’objectif visé qui se résume à la prospérité partagée, le bien-être de nos populations, la coexistence pacifique, la paix et la sécurité sans lesquelles le développement tant désiré ne serait qu’un vœu pieux. Enfin la conclusion de cet accord est aussi l’expression de la politique de bon voisinage qui mérite une attention particulière, politique devant s’étendre à tous les pays frontaliers en vue d’assurer la sécurité et l’expansion économique du Benin dans un cadre empreint d’amitié et de fraternité.
Jean-Pierre A. EDON
Ambassadeur, spécialiste des questions internationales.