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 Minerais contre sécurité : L’accord RD Congo–Rwanda négocié par Washington inquiète les experts

Un accord qui lie la paix régionale aux chaînes d’approvisionnement américaines en minerais critiques soulève de lourdes questions de souveraineté pour l’Afrique.

Un accord de paix négocié par les États-Unis entre la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda, signé en juin 2025, promet de mettre fin à trois décennies de tensions et de guerres par procuration dans les Grands Lacs. Mais derrière l’annonce diplomatique, des universitaires sud-africains tirent la sonnette d’alarme : la paix envisagée reposerait sur un troc implicite — des ressources minérales stratégiques contre des garanties de sécurité vagues offertes par Washington.

Une intégration régionale… sous condition minière

Le texte engage Kinshasa et Kigali à développer un cadre d’intégration économique régionale ouvert aux investisseurs américains. Objectif annoncé : bâtir des chaînes d’approvisionnement “transparentes et formalisées” de bout en bout pour des minerais essentiels. Pour la RDC, parmi les cinq pays les plus pauvres du monde malgré une richesse minière exceptionnelle, l’accès à des capitaux et à des marchés américains est séduisant. Les États-Unis, eux, voient l’occasion d’ancrer leurs chaînes d’approvisionnement en minerais critiques dans un territoire riche mais instable dont dépendront les technologies du XXIᵉ siècle.

L’équation est claire : plus la RDC sécurise l’extraction et l’exportation, plus Washington serait prêt à offrir un parapluie sécuritaire ambigu, sans toutefois assumer d’obligations militaires fermes dans l’accord. Un comité conjoint de supervision, incluant l’Union africaine, le Qatar et les États-Unis, est prévu pour traiter plaintes et différends entre la RDC et le Rwanda — mais il s’agit davantage d’un mécanisme diplomatique que d’une garantie de protection.

Des richesses qui attisent la convoitise

La RDC recèle d’importants gisements de cobalt, cuivre, lithium, manganèse et tantale — tous cruciaux pour les batteries, l’intelligence artificielle, les énergies renouvelables et les applications militaires. Le Rwanda, moins doté globalement, est néanmoins troisième producteur mondial de tantale, métal indispensable à l’électronique, à l’aéronautique et au matériel médical.

Depuis près de 30 ans, ces richesses nourrissent la violence, surtout dans l’Est congolais. Les minerais dits 3TG (tungstène, tantale, étain et or) financent l’économie de guerre : forces gouvernementales, milices locales et quelque 130 groupes armés se disputent des sites miniers lucratifs. Des rapports ont régulièrement mis en cause l’implication de pays voisins, dont le Rwanda et l’Ouganda, dans l’extraction illégale et la contrebande de ces minerais.

Un État sous-capacitaire face à un territoire gigantesque

La RDC peine depuis des décennies à projeter l’autorité de l’État sur ses 2,3 millions de km², peuplés d’environ 109 millions d’habitants représentant près de 250 groupes ethniques. Les ressources limitées, la logistique précaire et la corruption fragilisent l’armée et l’administration. Dans ce contexte, la perspective d’un appui sécuritaire américain — même flou — devient irrésistible. Mais c’est précisément là que se nichent les risques, préviennent les spécialistes.

Quand le troc minier érode la souveraineté

Les professeures Hanri Mostert (Université du Cap) et Tracy-Lynn Field (Université du Witwatersrand), qui étudient depuis plus de vingt ans le droit minier et la gouvernance des ressources en Afrique, voient dans l’accord DRC–Rwanda une déclinaison nouvelle d’anciens schémas : les « ressources contre infrastructures » apparus dans les années 2000, puis les « ressources contre sécurité » expérimentés avec la Chine ou la Russie en Angola, en RCA ou déjà en RDC.

Dans un article publié en juillet 2025 dans la revue sudafricaine The Conversation, elles  soulignent que ces montages affaiblissent durablement la capacité de négociation des États riches en minerais. Et pour cause, des clauses peuvent geler les réformes réglementaires futures, limitant la marge législative. Des accords verrouillent des prix bas sur la durée, empêchant de profiter des hausses de marché. De plus, les clauses d’arbitrage international contournent les tribunaux locaux. De même, les prêts adossés aux ressources transfèrent les revenus d’exportation vers des comptes contrôlés à l’étranger, rognant la souveraineté budgétaire.

L’exemple cité d’un prêt pétrolier angolais de 2 milliards de dollars adossé à des livraisons garanties à la banque chinoise Eximbank illustre comment un pays peut perdre la main sur ses recettes avant même l’extraction.

Fragmentation, corruption et traumatisme social

Ces accords chevauchent souvent plusieurs ministères — défense, mines, commerce — ce qui dilue les responsabilités et ouvre la voie à la capture par les élites. En RDC, préviennent les auteures, cette fragmentation nourrit une kleptocratie violente où la rente minière échappe aux populations. À cela s’ajoutent les déplacements de communautés, la dégradation de l’environnement et la désagrégation des tissus sociaux dans les zones d’extraction. Lorsque la sécurité elle-même est gagée sur la poursuite de l’extraction, ces dommages risquent de devenir structurels.

Comment reprendre l’initiative

Dans un monde où la transition énergétique et les industries numériques dépendent des minerais africains, le continent dispose d’un levier stratégique considérable — à condition de s’en servir. Les deux chercheurs recommandent quatre garde-fous :

Investir dans la capacité institutionnelle et juridique pour mieux négocier.

Exiger la création de valeur locale (transformation, raffinage, emplois).

Imposer la transparence et un contrôle parlementaire sur tous les accords miniers et sécuritaires.

Refuser les contrats qui contournent les normes de droits humains, environnementales ou de souveraineté.

L’Afrique possède les ressources. Elle doit désormais conserver le pouvoir qu’elles confèrent.

Olivier ALLOCHEME

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