
Le Nigeria et la République du Bénin ont signé, ce samedi 21 juin 2025, un accord visant à approfondir leur intégration bilatérale et à servir de modèle pour une coopération régionale élargie au sein de la CEDEAO. La cérémonie de signature, à laquelle ont assisté le président nigérian Bola Tinubu et le président béninois Patrice Talon, s’est tenue lors du tout premier Sommet économique de l’Afrique de l’Ouest (WAES), à Abuja.
L’accord a été signé par la ministre nigériane de l’Industrie, du Commerce et de l’Investissement, Dr Jumoke Oduwole, et la ministre déléguée aux Affaires étrangères, l’ambassadrice Bianca Odumegwu-Ojukwu, ainsi que par la ministre béninoise de l’Industrie et du Commerce, Shadiya Alimatou Assouman, et le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération, Shegun Adjadi Bakari. Il s’agit d’un plan directeur pour une intégration régionale fluide dans des secteurs clés tels que le commerce, les infrastructures, l’énergie et la mobilité.
« Une avancée audacieuse »
Le président Talon a salué « une avancée audacieuse » et invité les dirigeants de la région à passer des discours aux actes. « Le président Tinubu et moi avons convenu d’une intégration totale entre le Bénin et le Nigeria. Nous sommes plus que des jumeaux : nous sommes un même peuple », a déclaré Talon. « Montrons à la région que l’intégration est non seulement possible, mais nécessaire. »
Critiquant ouvertement la CEDEAO, qu’il a qualifiée de « bloc régional en crise », Talon a dénoncé les lenteurs administratives et le manque de volonté politique. « Le gazoduc ouest-africain était un projet de rêve. Aujourd’hui, il est surtout symbolique. Nous avons dû importer du gaz du Qatar à la place », a-t-il regretté. « Le réseau électrique ouest-africain reste sous-exploité. Et voyager de Lagos à Abidjan prend toujours des jours à cause des tracasseries routières. » Selon lui, la pauvreté, bien plus que les coups d’État ou les menaces extérieures, constitue le principal facteur de déstabilisation dans la région.
« Tant que nous ne lutterons pas contre la pauvreté par une intégration plus poussée, la démocratie et la sécurité resteront fragiles », a-t-il affirmé.
Il a également évoqué l’évolution des dynamiques du commerce mondial, en citant le protectionnisme du président américain Donald Trump comme une leçon à méditer.
« Cette période nous a appris une chose : chaque nation agit dans son propre intérêt. Nous devons en faire autant. »
Une économie de type “de la mine au port”
Pour sa part, le président nigérian Bola Ahmed Tinubu a exhorté les dirigeants ouest-africains à transformer d’urgence la jeunesse et les ressources minières abondantes de la région en moteurs d’industrialisation, de création d’emplois et de compétitivité économique. Il a mis en garde contre les conséquences d’une inaction collective, qui pourrait conduire à une marginalisation accrue de la région dans l’économie mondiale. « Notre jeunesse est notre plus grand atout — mais seulement si nous lui donnons accès à l’éducation, aux outils numériques et à des opportunités productives », a-t-il déclaré dans son discours d’ouverture. « Sinon, cette promesse pourrait se transformer en fardeau démographique. »
Mettant en avant les investissements du Nigeria dans les infrastructures numériques, l’autonomisation des jeunes et le développement des compétences, le président Tinubu a insisté sur la nécessité d’une stratégie ouest-africaine unifiée pour bâtir des chaînes d’approvisionnement régionales, harmoniser les cadres commerciaux et intégrer les réseaux énergétiques et numériques. « Aucun pays ne peut réussir seul. Nous devons construire ensemble, ou nous effondrerons séparément », a-t-il lancé. Il a déploré le faible niveau des échanges commerciaux intra-régionaux, qui reste inférieur à 10 %, estimant que la région devait supprimer les barrières commerciales et privilégier la transformation locale et la création de valeur plutôt que l’exportation brute des ressources.
« L’ère du ‘de la mine au port’ doit prendre fin », a-t-il affirmé. « Nos minerais rares ne doivent plus quitter l’Afrique à l’état brut. Nous devons les raffiner, les transformer et les utiliser pour fabriquer sur place. C’est ainsi que nous créerons des emplois, développerons la technologie et sortirons des millions de personnes de la pauvreté. » Selon lui, l’Afrique a été écartée des précédentes révolutions industrielles et ne peut se permettre de rater celle à venir, d’autant plus que la demande mondiale en technologies vertes — fortement dépendantes des minéraux africains — connaît une forte croissance. Il a également lancé un défi aux dirigeants ouest-africains : améliorer le climat des affaires, libérer l’innovation du secteur privé et bâtir un bloc économique compétitif fondé sur des objectifs communs et des résultats concrets.
« Les gouvernements doivent créer les conditions adéquates — sécurité, justice et politiques favorables au marché. Mais la véritable transformation viendra de l’énergie entrepreneuriale de nos populations », a-t-il souligné.
Le sommet, qui a réuni chefs d’État, décideurs politiques, partenaires au développement et dirigeants du secteur privé, vise à tracer une nouvelle voie pour le développement régional à travers des politiques économiques coordonnées, des investissements stratégiques et une croissance inclusive.
Prélude au sommet de la CEDEAO
Ce sommet, prélude à la 67ᵉ réunion des chefs d’État de la CEDEAO prévue dimanche, a également enregistré les interventions des présidents Julius Maada Bio (Sierra Leone) et Joseph Boakai (Liberia), qui ont souligné l’urgence d’une intégration stratégique pour faire face à la dette croissante, aux risques climatiques, à l’insécurité alimentaire et à la stagnation économique. « Une monnaie unique réduira les coûts de transaction et renforcera le commerce intra-régional », a déclaré Bio. « Ce sommet est une occasion opportune de corriger le cap », a ajouté Boakai. Des figures mondiales comme la vice-secrétaire générale de l’ONU, Amina Mohammed, et la directrice générale de l’OMC, Dr Ngozi Okonjo-Iweala, ont également apporté leur soutien à la transformation économique de l’Afrique de l’Ouest via des messages vidéo.
Alors que la région fait face à de nombreux défis, l’accord signé samedi entre le Nigeria et le Bénin apparaît comme un signal fort : les dirigeants ouest-africains semblent désormais prêts à transformer les promesses en progrès réels.
Olivier A.