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Rentrée judiciaire 2025 à la CRIET : Le Procureur Mario Métonou prône une « justice ferme et équitable »

  • (Depuis 2019, la Cour a traité plus de 750 dossiers liés au terrorisme)

Lors de l’audience solennelle de rentrée judiciaire 2025-2026 le vendredi 10 octobre 2025, le Procureur spécial près la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET), Elonm Mario Métonou, a livré une réquisition marquante sur le thème : « Le traitement judiciaire du terrorisme entre classicisme et innovation ». Appelant à une riposte judiciaire cohérente et concertée, il a souligné que seule une justice rendue dans le respect du droit constitue une réponse durable face à la menace terroriste.

Face à un parterre d’autorités, dont le Garde des Sceaux, le président de la CRIET et les membres du corps judiciaire le 10 octobre dernier à l’ouverture solennelle de rentrée judiciaire 2025-2026, Mario Métonou a dressé un constat sans complaisance de la situation sécuritaire dans la sous-région. S’appuyant sur le dernier Indice global sur le terrorisme, il a rappelé que plus de la moitié des décès liés au terrorisme en 2024 ont été enregistrés au Sahel, faisant de cette zone l’épicentre mondial du fléau. Le procureur a évoqué plusieurs attentats emblématiques, de l’assassinat de Ramsès III à l’attaque du 11 septembre 2001, pour montrer que « la terreur, comme instrument de changement politique, traverse l’histoire humaine depuis des millénaires ».

Le Bénin, a-t-il rappelé, est entré dans ce cycle de violence en 2019 avec l’attentat du parc de la Pendjari, avant de connaître d’autres attaques meurtrières dans les départements frontaliers de l’Atacora, de l’Alibori et du Borgou. Deux groupes terroristes sont identifiés comme actifs sur le territoir, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), affilié à Al-Qaïda, et l’État islamique au Grand Sahara (EIGS), devenu la « Wilaya Sahel » de Daech.

Dans sa réquisition, Mario Métonou a salué la mise en place d’un plan national de lutte contre le terrorisme, articulé autour du développement des zones touchées, de l’opération militaire « Mirador » et de la création d’une juridiction spécialisée la CRIET. Depuis 2019, a-t-il indiqué, la Cour a traité plus de 750 dossiers liés au terrorisme, avec un pic en 2022 où 285 procédures ont été ouvertes. Au 30 septembre 2025, 770 personnes, dont 31 femmes, étaient détenues pour des faits de terrorisme. Ces chiffres traduisent, selon lui, l’ampleur du défi sécuritaire et la nécessité d’une réponse judiciaire adaptée, ferme et humaine.

Le Procureur spécial a ensuite relevé les principaux obstacles au traitement efficace des affaires de terrorisme. Il a cité la difficulté d’accès aux zones d’attaque, souvent minées ou sous contrôle militaire, ce qui complique la constatation des infractions. Il a également souligné le manque de coordination entre les services de renseignement, de police et de justice, entraînant une dispersion des informations. À cela s’ajoute la faiblesse de la coopération internationale, particulièrement entre les États du Sahel et ceux du littoral, freinée par des divergences politiques ou juridiques.

Pour surmonter ces obstacles, il a plaidé pour la judiciarisation du renseignement, l’intégration d’officiers de police judiciaire au sein des unités de terrain et la restauration de la coopération régionale malgré les tensions au sein de la CEDEAO et de l’Alliance des États du Sahel. Selon lui, la lutte contre le terrorisme doit être globale, structurée et guidée par une boussole commune, le respect du droit.

Romain HESSOU

Intégralité de la Réquisition du Procureur Spécial près la CRIET

7555 !

C’est le nombre total de décès liés au terrorisme en 2024 selon le dernier rapport de l’indice global sur la terreur. 51% de ces décès se sont produits au Sahel et le Burkina Faso a payé le plus lourd tribut sur la même période. Le Sahel devient l’épicentre du terrorisme. La menace de contagion des États côtiers s’amplifie.

Le terrorisme que l’on s’accorde à définir comme « la menace ou le recours effectif à la force et à la violence illégales par un acteur non étatique pour atteindre un objectif politique, économique, religieux ou social par la peur, la coercition ou l’intimidation » plonge ses racines loin dans l’histoire de l’humanité.

1198 avant J.-C, la terreur s’installe au cœur du pouvoir des pharaons. Ramsès III est égorgé. L’attaque terroriste que les historiens ont plus tard dénommé la conspiration du harem a été préparé par sa seconde épouse, la reine Ti dans le but de priver de trône l’héritier légitime, Ramsès IV ; La terreur comme moyen de provoquer un changement politique échoue mais elle s’installe dans les rapports humains. Durablement…

28 juin 1914, Sarajevo, l’assassinat du prince héritier d’Autriche et de sa femme par un meurtrier politique serbe constitue la plus importante opération terroriste internationale. Cet acte terroriste va plonger l’humanité dans la grande guerre. Quatre ans d’un conflit mondial. 18,6 millions de personnes, militaires et civils confondus y laisseront leurs vies.

11 septembre 2001, New York, dix-neuf terroristes détournent quatre avions de ligne et en projettent deux sur les tours jumelles du World Trade Center. En s’effondrant ces deux tours vont engloutir 2977 âmes innocentes !

14 juillet 2016, Promenade des Anglais, Nice, France un terroriste lance son camion sur la foule venue assister au feu d’artifice. Cet attentat terroriste au Camion- Bélier fera 86 morts.

5 juin 2021, Solhan, Nord- est du Burkina Faso, zone des trois frontières que le pays partage avec le Mali et le Niger, une attaque non revendiquée fait au moins 160 morts.

07 octobre 2023, Sud d’Israël, une attaque surprise du HAMAS fait 1219 morts dont de nombreux jeunes rassemblés pour faire la fête. La suite s’écrit depuis en lettre de sang devant nos yeux ébahis, la suite efface progressivement les frontières entre bourreaux et victimes, la suite menace l’équilibre mondial.

8 janvier 2025, autre zone des trois frontières, République du Bénin, une attaque terroriste fait une trentaine de victimes.

Monsieur le Garde des Sceaux, ministre de la justice et de la législation,

Honorables invités, pris en vos rangs grades et qualités ;

Monsieur le Président de la CRIET,

Mesdames messieurs membres de la Cour,

Signe d’un nouveau départ mais également marque d’une année qui s’achève, l’audience solennelle de rentrée judicaire se conjugue avec bilans et perspectives. Inspirée d’une tradition française dont les origines remontent à 1810, l’audience solennelle de rentrée est aussi l’occasion d’oser une réflexion sur un sujet d’actualité. Les incertitudes des temps présents nous ont naturellement dicté le thème de cette année : « le traitement judiciaire du terrorisme entre classicisme et innovation ».

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs de la Cour,

Avant d’évoquer brièvement le bilan de la CRIET en matière de lutte contre le terrorisme et d’aborder les défis liés au traitement judicaire de cette infraction, permettez-moi de vous présenter un bref aperçu de l’état de la menace.

Commençons par la menace
Avant de présenter les différentes composantes des Groupes armés terroristes au Bénin, il convient de faire un petit rappel historique de leur activité.

Historique et origine
Le 1er mai 2019, le Bénin connaissait le premier attentat terroriste de son histoire. Il s’est matérialisé par l’enlèvement de deux touristes français et l’assassinat de leur guide béninois dans le parc de la Pendjari. Les deux otages seront finalement retrouvés et libérés au Burkina-faso par l’armée française, alors que leurs ravisseurs tentaient de les faire entrer au Mali. Le récit de cette action hostile indique que le Bénin est entré dans le phénomène terroriste par un effet de contagion, précisément venant des pays situés au nord de ses frontières : le Sahel.

Des auditions effectuées et des enquêtes menées, il en est ressorti que déjà en 2018, les Groupes armés terroristes (JNIM ou GSIM et EIGS) ont effectué avec succès des recrutements parmi la jeunesse béninoise. Cette jeunesse peut être caractérisée comme faisant partie de la population vivant dans les communes frontalières et ayant des liens sociaux culturels avec les populations des pays voisins déjà en butte au phénomène : Burkina-faso, et Niger. Ces jeunes allaient combattre au sein des GAT au Burkina-faso, Niger, et Mali. Ils assuraient également le ravitaillement en vivres et en carburant pour les cellules actives dans le sud-est du Burkina et dans le sud-ouest du Niger. Et lorsqu’il s’est agi d’étendre les attaques terroristes au Bénin, il a juste suffi d’organiser ces jeunes en katiba, et les soutenir.

Composition des GAT au Bénin
Le JNIM ou GSIM en français (Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans) et l’EIGS (État Islamique au Grand Sahara) récemment rebaptisé “Wilaya sahel” de l’état islamique sont les deux groupes actifs au Bénin.

Le premier a prêté allégeance à l’international terroriste dénommé Al Qaida.

Le second est une filiale du groupe état islamique en Irak et au levant (Daech).

Cependant il y a une large prédominance des activités du GSIM sur le territoire béninois dont les fronts sont répartis en trois fuseaux par les Forces Armées Béninoises : le fuseau Ouest, fuseau Nord, Fuseau Est.

Le fuseau Ouest prend en compte le département de l’Atacora, avec comme point principal d’attention le parc Pendjari. Des sous-groupes du GSIM ayant leur base sur le territoire burkinabè (parc Arly) surgissent et tentent de s’installer. Le sous-groupe des béninois dans cette partie a à sa tête le dénommé Hamissou, qui a pris le nom de Cheik Albani.

Le fuseau Nord prend en compte les limites administratives du département de l’Alibori, avec comme point principal d’attention le parc W. Les combattants tentent de s’installer à partir du parc W Niger, au point de jonction des frontières des trois pays : Burkina-faso, Niger, Bénin. Un jeune béninois et cadre du GSIM actif dans cette zone est le dénommé Sanda.

Le fuseau Est couvre le département du Borgou, avec comme point principal d’attention la commune de Kalalé. Cette commune est frontalière du Nigéria, mitoyenne de la localité de Babana au Nigéria. Un sous-groupe du GSIM, essentiellement composé de Nigérians, a implanté sa base dans la « forêt de Babana » et lance des attaques. Il recrute de plus en plus de jeunes béninois et a décidé d’intensifier ses activités au Bénin.

Transformation des menaces :
Trois indicateurs de transformation ont été récemment observées et sont autant de sources d’inquiétudes :

La convergence d’intérêt entre terrorisme-criminalité et banditisme génère des « entreprises criminelles à façade religieuse » disposant d’une autonomie financière croissante.

L’hybridation des méthodes de combat utilisées par les groupes terroristes (méthode terroriste, couplée tantôt à des méthodes militaires de combat classique et tantôt à des méthodes de guérilla) montre un gain d’expériences et une montée en force des capacités des terroristes.

L’adoption de nouvelles technologies (drones armés, crypto monnaies) et l’exploitation des flux migratoires qui compliquent le défi des États.

Face à ce fléau notre pays s’est doté d’un plan d’action comportant trois axes :

Le développement des zones impactées avec un programme d’investissement massif dans les infrastructures communautaires et un programme social ambitieux.

La protection des populations et la lutte armée contre les groupes terroristes avec l’essor de l’opération MIRADOR.

La création d’une juridiction spécialisée pour apporter une réponse judiciaire appropriée à cette infraction.

Continuons par le bilan de nos activités
En 2019, la CRIET a traité 29 procédures de terrorisme, ce nombre est passé à 31 en 2020, 65 en 2021 avant de connaître un pic en 2022 où les procédures étaient au nombre de 285. En 2023 le nombre de procédures de terrorisme est revenu à 159 puis à 111 en 2024 avant de remonter en 2025 où à la date du 30 septembre 2025 il était déjà de 136.

À la même date, soit au 30 septembre 2025, 770 personnes dont 31 femmes étaient détenues pour terrorisme.

Rapportés à l’état de la menace, ces chiffres montrent l’ampleur du phénomène et laissent entrevoir les défis que posent à la justice, le traitement de cette infraction.

Terminons par les défis et les perspectives
Trois défis majeurs émergent lorsqu’il s’agit de mener des investigations et de juger des infractions en lien avec le terrorisme :

D’abord le défi de la constatation des infractions en cas d’attaques terroristes : La plupart des attaques se déroulent dans des zones inaccessibles ou infestées par des IED. Seule l’armée a accès aux scènes de crime. Or la vocation première de l’armée n’est pas d’accomplir des actes de police judiciaire, et les informations qu’elle collecte sont d’abord destinées à un usage militaire.

Ensuite le défi de la coordination entre les services : Renseignement, armée, police, justice : Les deux premiers collectent et utilisent le renseignement pour leurs propres structures, tandis que les deux derniers auraient grand besoin d’accéder aux sources des deux premiers. La conséquence est que sur une même affaire les informations disponibles peuvent varier d’une structure à l’autre, ce qui est « du pain béni pour les criminels ».

Enfin le défi de la coopération internationale : Le terrorisme au Bénin est une infraction transnationale, avec des katibas installées dans les pays voisins d’où les combattants viennent commettre des attaques. Or il existe un manque de souplesse dans les accords en matière de droit de poursuite, un facteur limitant l’efficacité des services béninois face aux menaces transfrontalières. Les groupes terroristes exploitent cette limite. La rupture du partage de renseignements entre les États de l’AES et ceux de la CEDEAO est également un point de faiblesse dans la réponse régionale.

Monsieur le Garde des Sceaux,

Monsieur le Président

Mesdames et Messieurs de la Cour,

Ce tableau sombre ne doit pas nous décourager ; Le chemin est long, la nuit profonde mais il y a une lueur au bout du tunnel. Il y a un phare dans la nuit comme il y a un petit matin ;

Et au bout de ce petit matin, ce phare c’est :

L’intégration d’officiers de police judiciaire dans les unités de l’opération MIRADOR ;

C’est la confection de fiches de mise à disposition permettant aux militaires primo – intervenants sur les scènes de crime de collecter les éléments de preuves de procéder à des interpellations et d’assurer la transmission aux OPJ dans les formes prévues par le code de procédure pénale ;

Ce phare, c’est la judiciarisation du renseignement, c’est la prise d’un décret portant création d’un cadre de riposte judiciaire au terrorisme incluant service de renseignement, de l’armée, de la police et de la justice. L’institutionnalisation de ce cadre est la clé pour une bonne coordination au plan national.

Ce phare c’est la restauration de la coopération régionale malgré les divergences politiques.

Monsieur le Garde des Sceaux ;

Monsieur le Président

Mesdames et Messieurs de la Cour ;

Le terrorisme est une négation du droit. Une négation du droit à la différence, Une négation du droit à la vie ; Promouvoir le droit est la seule façon d’y mettre fin ; Rendre justice aux victimes et aux auteurs en respectant le droit est la seule réponse efficace ; C’est en opposant le droit à la violence que notre société démocratique restera fidèle à ses fondements ;

Mesdames Messieurs, mes chers collègues,

De cette conviction, faisons un viatique et une boussole pour les temps à venir.

C’est au bénéfice de ces observations que je requiers qu’il vous plaise déclarer ouverte l’année judicaire 2025-2026. Me donner acte de mes réquisitions et dire que de tout il sera dressé procès-verbal pour y être recouru en cas de besoin.

Bonne année judicaire à toutes et à tous.

J’ai dit.

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