
Près de 1 000 morts en mai au Mali, au Niger et au Burkina Faso. L’attaque coordonnée qui a frappé la région malienne de Kayes — longtemps considérée comme sûre — marque un tournant alarmant.
Quand le lieutenant Amadou Traoré a été affecté dans l’ouest du Mali, ses proches se croyaient à l’abri des offensives djihadistes qui ravageaient déjà le centre et le nord. Puis, début juillet, des attaques coordonnées dans sept localités de la région de Kayes ont brisé cette illusion. Le téléphone d’Amadou ne répondait plus. Le lendemain, sa famille apprenait sa mort. « Nous avons appelé, encore et encore… C’est sa femme qui m’a dit qu’on l’avait tué », raconte son père, Ousmane Traoré.
Une hémorragie de violence régionale
Selon les données de l’ACLED (Armed Conflict Location & Event Data), au moins 850 personnes ont été tuées par Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM) au Mali, Niger et Burkina Faso pour le seul mois de mai. D’autres bilans non consolidés évoquent près de 1 000 morts. Cette flambée figure parmi les périodes les plus meurtrières depuis le début de l’insurrection sahélienne il y a plus d’une décennie, alimentant les alarmes américaines et onusiennes qui décrivent désormais le Sahel comme un nouvel épicentre mondial du terrorisme.
Pourquoi le sud-ouest du Mali est stratégique
Le 1er juillet, Bamako affirme avoir repoussé l’offensive du JNIM dans Kayes. Mais le simple fait que le groupe ait percuté cette zone change la donne. Le sud-ouest contrôle l’accès aux frontières du Sénégal et de la Mauritanie, abrite une grande partie des richesses aurifères du pays et concentre la route d’approvisionnement depuis le port de Dakar. Pour Ulf Laessing, directeur du programme Sahel à la Fondation Konrad-Adenauer, le JNIM cherche à « ouvrir un nouveau front » et à détourner les forces gouvernementales du nord et du centre.
C’est quoi le JNIM ?
Créé en 2017 par la fusion de plusieurs groupes djihadistes — dont al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) — le JNIM regrouperait 6 000 à 7 000 combattants et est dirigé par Iyad Ag Ghaly. Ancien chef rebelle touareg dans les années 1990, il mena le mouvement fondamentaliste Ansar Dine, qui participa à l’occupation de Tombouctou, Gao et d’autres villes du nord en 2012. Son objectif : imposer une gouvernance islamiste sur l’ensemble du Sahel.
Juntes, soutiens russes… et violence persistante
Les coups d’État successifs au Mali, au Burkina Faso et au Niger ont capitalisé la colère populaire contre l’insécurité, précipitant la rupture avec les partenaires occidentaux — notamment la France — et l’ouverture vers Moscou. Pourtant, la spirale meurtrière ne faiblit pas. Des abus imputés aux forces étatiques et à leurs auxiliaires russes alimentent parfois le ressentiment local. Selon Ibrahim Yahaya Ibrahim (International Crisis Group), on assiste à une guerre d’usure : les djihadistes gagnent du terrain dans les campagnes, tandis que les armées et leurs alliés tiennent surtout les centres urbains.
Capacités accrues, économie de guerre
Les rapports de terrain évoquent une montée en gamme tactique du JNIM : emploi d’armes antiaériennes, recours accru aux drones, attaques combinées. Le financement provient de razzias, de vol de bétail, d’enlèvements contre rançon, du prélèvement de taxes locales et du détournement de marchandises. Dans les zones sous contrôle, le groupe impose des règles inspirées de la charia : voile obligatoire pour les femmes, barbe pour les hommes.
“Nous en avons assez” : l’appel au dialogue
Pour le père d’Amadou Traoré, la démonstration de force du JNIM à Kayes révèle la profondeur de la crise. « Cela prendra du temps, mais à mon avis il faut des négociations, du dialogue. Nous sommes fatigués : attaques ici, morts là… Nous en avons assez. » Dans un Sahel fragmenté, où les lignes de front s’étirent vers les côtes atlantiques, cette lassitude populaire pourrait devenir un facteur décisif — ou un nouvel angle exploité par les extrémistes.
Olivier ALLOCHEME