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Stéphane Mund, Ambassadeur de l’Union européenne au Bénin, invité de ‘’Sous l’Arbre à Palabre’’:  »L’UE continuera à appuyer les efforts du Bénin »

A événement spécial, disposition spéciale. Pour marquer la première édition de la fête de l’Europe, aux lendemains de son accréditation au Bénin, l’Ambassadeur de l’Union européenne au Bénin, Stéphane Mund a accepté de participer au débat à bâtons rompus ‘’Sous l’Arbre à Palabre’’ de l’Evènement Précis. Pour ces échanges à bâtons rompus avec la presse béninoise, Stéphane Mund s’est prononcé sur les sujets brûlants de l’actualité sur le continent et le monde, surtout le partenariat qu’entretient l’Union européenne avec le Bénin ainsi que certains sujets de grande préoccupation. De la lutte contre le terrorisme, à la suspension des aides américaines, en passant par la concurrence des grandes puissances comme la Chine et la Russie sur le continent et bien d’autres, l’invité du quotidien l’Evénement Précis était sans langue de bois le mercredi 7 mai 2025.

Comment peut-on définir aujourd’hui l’Union européenne, Monsieur l’Ambassadeur ?

L’Union européenne est une organisation qui regroupe actuellement 27 pays européens. C’est une organisation un peu unique en son genre, qui trouve son origine le 9 mai 1950 quand Robert Schuman, Ministre français des Affaires étrangères, a fait une déclaration proposant la création d’une organisation européenne chargée de mettre en commun les productions françaises et allemandes de charbon et d’acier. C’était 5 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale qui avait laissé en Europe un champ de ruines.

L’autre étape marquant véritablement le début l’Union européenne est le traité de Rome de 1957, qui crée la Communauté Economique Européenne (CEE). Ce traité a été signé par six États fondateurs, la France, l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, la Belgique et le Grand-Duché de Luxembourg. Vous savez, je suis historien de formation et si on regarde l’histoire de l’Europe, depuis la fin de l’Empire romain au 5ème siècle jusqu’au 20ème siècle, cette histoire est faite en grande partie de guerres. Et au fur et mesure que les Européens ont développé la technologie, les guerres sont devenues de plus en plus sanglantes et meurtrières. L’Union européenne est donc au départ un projet de paix.

La Communauté Economique Européenne devient Union européenne plusieurs décennies plus tard, en 1992, avec un autre traité, le traité de Maestricht, qui va transformer cette Communauté Economique Européenne en Union européenne, c’est-à-dire pas uniquement une organisation avec des objectifs économiques, mais aussi une organisation qui développe une politique. C’est à ce moment-là que va commencer à naître une politique étrangère européenne, une politique de défense européenne.

Qu’est-ce que l’Union européenne ?

C’est une communauté de valeurs : la démocratie, le respect des droits humains, la tolérance, l’égalité des gens et toute une série de valeurs qui nous unissent. C’est aussi une construction qui se fait de manière progressive, qui est en évolution constante parce que c’est mathématique. Quand on doit palabrer, si on est 6 à palabrer au pied d’un arbre, c’est plus facile que quand on est à 27 au pied d’un arbre. Parce que tout simplement, on parle de pays, qui ont des histoires différentes et dont les intérêts ne coïncident pas toujours forcément. Cela nécessite la recherche d’un consensus. L’Union européenne est donc aussi une forme de dialogue permanent. C’est pour cela qu’il existe beaucoup de réunions à différents niveaux. Le niveau le plus important est celui des chefs d’État et de gouvernement qui se réunissent théoriquement tous les trimestres. Mais actuellement, la fréquence de leurs réunions est plus élevée parce que les circonstances géopolitiques ou économiques l’exigent. Et puis vous avez les réunions au niveau des ministres (affaires étrangères, défense intérieur, économie & finances, agriculture, énergie etc.). Et puis, vous avez des réunions au niveau des fonctionnaires. Par exemple, dans mes fonctions précédentes, j’étais Ambassadeur de Belgique au COPS (Comité Politique et de Sécurité), l’organe qui contribue à façonner la politique étrangère de défense de l’Union Européenne. Je siégeais avec mes 26 collègues pour contribuer à façonner cette politique étrangère de défense commune de l’Union européenne.

En ce qui concerne le mode de décision, certaines matières requièrent l’unanimité, notamment tout ce qui est politique étrangère, sécurité et défense qui sont des domaines encore très régaliens, tandis que dans beaucoup d’autres domaines, les décisions sont prises à la majorité qualifiée. Qu’est-ce que la majorité qualifiée ? L’Union européenne compte des pays de tailles différentes. Il fallait éviter un système de décision où les pays les plus importants en puissance économique, en population et en productivité puissent « imposer » leurs lois aux autres. Pour éviter cela, on a inventé le processus de décision à la majorité qualifiée. En quoi cela consiste-t-il ? La majorité qualifiée représente 55 % des 27 États membres, comptant 65 % de la population totale de l’Union européenne. C’est un système qui permet que des décisions soient prises sans être bloquées par l’unanimité.

Le processus de décision européen fait l’objet de nombreuses discussions parce qu’il faut trouver un consensus. L’Union européenne, c’est en fait une forme de dialogue. L’Union européenne, c’est la paix, la paix à l’intérieur de l’Union européenne évidemment. Puisque malheureusement comme vous le savez, l’Europe connaît à nouveau une guerre sur son continent, la guerre en Ukraine. L’Europe, c’est aussi un autre aspect : la prospérité et la stabilité. Il faut se rappeler que l’Europe en 1945 était un champ de ruines ; des millions de personnes étaient déplacées, sans abri, avaient faim. La carte politique de l’Europe avait été profondément redessinée. Il y avait énormément de pauvreté et de misère. L’idée a été de reconstruire une prospérité, l’autre objectif de l’Union européenne. L’un des grands résultats a été la création d’un marché unique.

Qu’est-ce que le marché unique ?

C’est la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux. Cela a été la grande réalisation des années 80, lancée par le Président de la Commission, un Français, Jacques Delors, et poursuivie par ses successeurs. C’est en fait la création d’un gigantesque espace commun de liberté et de circulation. C’est la création d’une zone de prospérité comme les Européens n’en avaient jamais connu auparavant. Et puis, il faut aussi savoir qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe était divisée en deux, suite au partage dit de Yalta entre les Anglo-saxons et les Soviétiques, qui a fait que toute l’Europe centrale et orientale a basculé dans la sphère d’influence soviétique. Pendant une période qui a duré 45 ans, la moitié orientale de l’Europe était séparée de la moitié occidentale. Quand le Rideau de fer est tombé avec la Perestroïka et la Glasnost de Gorbatchev, l’Europe a eu une opportunité historique de se réunifier.

 A l’origine, la Communauté Economique Européenne comptait 6 États membres. Elle s’est progressivement élargie pour devenir successivement « l’Europe des 9 », « l’Europe des 10 », « l’Europe des 12 », « l’Europe des 15 ».  Elle est devenue « l’Europe des 25 », avec les 10 nouveaux États membres, au grand élargissement de 2004. Et cela, je l’ai vécu personnellement, je suis Bruxellois d’origine. Donc l’Union européenne est chez moi dans ma maison. Je me souviens très bien du moment où les pays de l’Europe de l’Est sont entrés dans l’Union européenne ; on avait ce sentiment que l’héritage de la Seconde Guerre mondiale était terminé. La grande famille européenne n’est cependant pas encore complète, parce qu’il y a encore des États européens qui frappent à la porte, qui n’en font pas encore partie, qui sont dans des processus d’adhésion, un processus extrêmement long.

A la base projet économique de prospérité, l’Europe a évolué vers un projet politique et s’est également élargie géographiquement. Ces deux processus ont été poursuivis en parallèle. Comme elle s’agrandit, forcément l’Europe doit s’adapter, car elle ne peut fonctionner à 27 comme elle fonctionnait à 6. Je vais vous parler d’une caricature d’un de vos confrères belges, Pierre Kroll, grand caricaturiste belge du journal Le Soir, un des premiers quotidiens francophones belges. J’ai gardé cette caricature de 2007 avec moi car elle garde toute sa pertinence. On y voit les États membres assis autour de la table en 1957 et en 2007. Ils commandent tous une tasse de café. Il faut savoir que cela fait partie de ces traditions des réunions à Bruxelles. Dans le premier dessin, on voit les six autour d’une table ronde, tous unis, en train de commander une tasse de café, et la serveuse vient les apporter avec un large sourire. Dans le second dessin, ils sont 27 assis autour de la table ronde, commandant qui un café avec sucre, qui un café sans sucre, qui un café avec du lait, qui un café avec du lait et du sucre. La pauvre serveuse est totalement perdue. C’est une caricature évidemment, mais elle révèle toute la complexité de la recherche d’un consensus européen.

En 1992, il y a eu le traité de Maestricht. Un traité qui a mis en place l’Union européenne dans sa version actuelle. Il y a 33 ans. Entre les valeurs de Maastricht et ce qui se passe aujourd’hui, sur le plan politique surtout en ce qui concerne les valeurs extérieures de l’Union européenne, y a-t-il une évolution ?

Les valeurs sur lesquelles la Communauté Economique Européenne devenue l’Union européenne a été créée n’ont pas changé.

La démocratie reste au cœur du projet européen. Un projet né sur les cendres de la Seconde guerre mondiale, de l’Holocauste. Cela a marqué les Européens. Les pères fondateurs de l’Union Européenne étaient des gens pétris de cette conscience de l’horreur à laquelle nous étions arrivés. La démocratie, les droits humains, l’égalité des genres, l’Etat de droit, les élections sont des valeurs qui restent au cœur du projet européen. C’est d’ailleurs une condition sine qua non pour intégrer l’Union européenne. Entre-temps, l’Union européenne a commencé à développer une politique de sécurité et de défense commune parce que nous avons eu, au début des années 90, la guerre en Yougoslavie. La Yougoslavie est un État européen qui s’est désintégré, dont les différentes républiques constitutives se sont fait la guerre. C’était la première fois que la guerre revenait sur le sol européen. Ce n’était pas une guerre comme celle qui a éclaté en 2014-2022, mais une guerre interne à un pays qui a provoqué beaucoup de désastres, de réfugiés etc. A ce moment-là, les Européens ont pris conscience que s’ils avaient une puissance économique commune, il leur manquait une puissance politique en tant que groupe, car ils manquaient de coordination. Aujourd’hui plus que jamais, la paix ne s’est pas installée partout dans le monde. En particulier, le continent africain a vécu des guerres terribles durant les années 90 et 2000. Or l’Afrique est notre voisin ; entre l’Afrique et l’Europe, il n’y a que le détroit de Gibraltar. L’Afrique est notre voisin historique. L’Afrique et l’Europe, ce sont des liens qui remontent très loin dans le temps. La sécurité de l’Afrique et celle de de l’Europe sont intimement liées. L’Union européenne a développé progressivement sa politique étrangère et de sécurité commune. Elle a commencé à mettre en place des missions de défense européennes à l’étranger, dans le cadre de partenariats avec des pays tiers, à leur demande, notamment sur le continent africain. C’est ainsi que nous avons plusieurs missions européennes, dont certaines existent toujours d’ailleurs, pour former des militaires, des policiers, des magistrats. Cette dimension de la politique étrangère de l’Union européenne a démarré véritablement dans les années 90. Ces missions ne sont pas uniquement déployées en Afrique, mais aussi dans des pays européens (Moldavie, Ukraine, Géorgie, Arménie). L’Union européenne a donc commencé à développer des instruments pour essayer de favoriser la paix. L’Union européenne se veut aussi un acteur de paix qui promeut la paix à l’extérieur. Nous ne nous contentons pas de construire la paix à l’intérieur, mais aussi la paix à l’extérieur, parce nous souhaitons la paix dans le monde, le respect de la Charte des Nations Unies et du droit international, le multilatéralisme, toutes valeurs auxquelles l’Union européenne est viscéralement attachée. Sans le respect de ces valeurs, nous pensons que le monde ne peut que déboucher sur le chaos. C’est d’ailleurs ce qui a valu à l’Union Européenne de recevoir le prix Nobel de la paix en 2012. Bien sûr, l’Union européenne n’est pas une puissance militaire : il n’y a pas d’armée européenne, ni de police européenne. Ce sont les États membres qui contribuent. L’Union Européenne essaie de faire en sorte que les États membres se mettent ensemble pour pouvoir fournir telle ou telle formation, tel ou tel entraînement, etc.

La démocratie continue-t-elle d’être une conditionnalité de l’appui de l’UE aux pays africains ?

L’Union européenne se veut aussi un acteur géopolitique mondial et a par conséquent des partenariats avec un très grand nombre de pays dans le monde, dont bien sûr des pays africains, où elle est physiquement présente. Vous devez savoir que nous avons au total 144 ambassades européennes, qu’on appelle « Délégations de l’Union européenne ». Et comme vous le savez aussi, malheureusement il n’y a pas 144 démocraties dans le monde. Tout cela pour vous dire que l’Union Européenne travaille avec un très grand nombre de pays partenaires qui ne sont pas des démocraties. Mais, il est aussi clair que le partenariat de l’Europe est beaucoup plus intense avec des pays partenaires qui partagent les mêmes valeurs. C’est le cas du Bénin.

Ne craignez-vous pas que la Chine et la Russie vous dament le pion ? Puisque ces deux États n’ont pas cette conditionnalité démocratique.

Comme je le disais précédemment, l’Union européenne, en tant qu’acteur géopolitique sur la scène internationale, a des partenariats avec un très grand nombre de pays qui ne sont pas tous des démocraties. Pour répondre à votre question, la Chine est un acteur extrêmement présent partout dans le monde. C’est un état de fait et c’est normal. L’époque des chasses gardées est révolue. Le continent africain est plein de potentiel et tous les investisseurs y sont les bienvenus.  J’ai même appris récemment que certains projets mis en œuvre en Afrique par des acteurs chinois étaient financés, au moins partiellement, par de l’argent de l’Union européenne !

Pour revenir sur la question de l’appui au pays partenaire, il est important que vous sachiez que la manière dont le budget de l’UE alloué au Bénin sera dépensé fait l’objet d’un dialogue étroit avec le gouvernement. Notre relation est d’un partenariat d’égal à égal avec le pays partenaire. Nous sommes à l’écoute des besoins du partenaire. C’est l’objet d’un dialogue, d’une négociation. Nous avons avec le Bénin un excellent partenariat. Les priorités du partenariat UE – Bénin sont définies ensemble par les 2 parties !

Dites-nous de façon concrète, quel bilan peut-on faire des grandes actions menées par l’Union européenne au Bénin ?

Vous allez probablement me trouver subjectif parce que forcément je veux être positif, mais c’est dans ma nature. Je pense sincèrement qu’il y a tout lieu d’être fier de ce que l’Union européenne a réalisé au Bénin jusqu’aujourd’hui. A titre d’exemple, pour venir jusque chez vous, j’ai pris le Boulevard de l’Europe à Cotonou. Il a été construit en 2005 par l’Union européenne. L’UE a construit des ponts, des routes, a contribué à la formation de Béninois et de Béninoises dans différents secteurs. Bien sûr, l’Union européenne et ses États membres ont chacun leur priorité en matière de partenariat avec le Bénin. Mais nous essayons d’harmoniser cela, c’est-à-dire que nous nous parlons beaucoup entre nous pour éviter de faire des choses chacun dans son coin. Nous avons réalisé beaucoup de choses. Est-ce assez ?  On peut toujours faire plus. Mais voilà, aujourd’hui, la politique, qui est d’ailleurs la stratégie du Bénin et de l’UE, c’est de ne plus se disperser, de faire ce qu’on appelait autrefois du saupoudrage, mais plutôt d’avoir des domaines clés de partenariat. Et cela a été décidé de commun accord avec le gouvernement béninois, qui est notre partenaire privilégié.

Lesquels ?

D’abord les infrastructures, et là nous restons dans l’historique de notre relation avec le Bénin. Le port de Cotonou, qui est votre poumon économique, qui est votre porte d’entrée et votre porte de sortie. Le port de Cotonou a un potentiel extraordinaire, même s’il y a la concurrence de Lagos, de Lomé et de Tema. Ce port de Cotonou, n’est pas seulement la porte d’entrée et de sortie du Bénin, il est la porte d’entrée et de sortie de la sous-région. Que faisons-nous aujourd’hui ?  Plusieurs travaux d’agrandissement et d’approfondissement du port. Nous sommes également en train de réformer son fonctionnement pour en améliorer l’efficacité, ce qui lui donnera une valeur ajoutée par rapport aux ports engorgés de Lomé et de Lagos. Plusieurs acteurs européens sont présents : le port de Cotonou est pour le moment géré par le Port d’Anvers International pour un contrat d’une durée de 9 ans. Enabel, l’Agence de développement Belge, a en projet de développer des éoliennes afin de rendre le port autonome d’un point de vue énergétique. La société de construction française Eiffage construit le nouveau quai. Le port de pêche actuel va être déplacé, agrandi et complètement modernisé par les Néerlandais. Ces derniers vont également s’occuper du dragage du lac Nokoué pour le rendre à nouveau plus navigable pour des bateaux d’un certain tonnage. Voilà un projet très concret de l’UE et des Etats membres en mode « Equipe Europe ». Nous sommes également actifs dans le secteur des énergies vertes. Le Bénin a un potentiel solaire extraordinaire. L’Union européenne a cofinancé récemment la construction par l’AfD d’une centrale d’énergie solaire à Pobé au Nord-Est de Cotonou qui fournit de l’électricité 180.000 personnes. Le grand défi du Bénin, qui est un défi d’ailleurs à l’échelle de l’Afrique, est d’étendre l’électrification. L’Union européenne est très active également dans le soutien à la SBEE pour étendre le réseau électrique dans 7 Départements du pays.

Aujourd’hui, l’Union européenne ne met plus elle-même en œuvre les projets. Elle les finance ou les cofinance ou elle fait des dons et ce sont différents acteurs qui se chargent de la mise en œuvre. Ces acteurs sont l’État béninois, les agences de développement des États membres, des acteurs économiques privés. Mes collègues à la délégation de l’Union européenne, suivent les projets, mais ce n’est pas eux qui vont les mettre en œuvre. Les agents d’exécution, ce sont d’autres. Donc, vous verrez sur le terrain souvent un drapeau européen avec un autre logo.

Vous avez également un potentiel de biodiversité magnifique. J’ai eu l’occasion d’admirer la Bouche du Roy, la rivière Noire à Adjarra. Hélas, les parcs du Nord ne sont plus accessibles aux touristes pour les raisons que vous savez. Le Bénin a un potentiel en matière de biodiversité. L’Union européenne est un partenaire du Bénin aussi, pour la mise en valeur de cette biodiversité. Il y a un exemple très concret dans le Département du Mono, où les populations des villages vivent notamment de la pêche aux crabes qui vivent dans les mangroves. Pour éviter d’endommager la mangrove, un biotope fragile, nous avons financé un projet d’élevage de crabes. Les résultats : ces crabes se reproduisent en quantité et la mangrove est préservée. Voilà un projet très concret réalisé en étroit partenariat avec les populations locales. Il est fondamental qu’il y ait une appropriation. L’époque où on arrivait avec des projets clé en main, c’est terminé.

La formation professionnelle est un autre secteur très important de notre partenariat. Tous les ministres que j’ai eu l’occasion de rencontrer en fonction m’ont tous parlé de l’importance de l’éducation et donc d’un besoin de partenariat. En accord avec les autorités du Bénin, l’UE a plutôt placé l’accent sur la formation professionnelle, notamment la rénovation de lycées techniques et agricoles.  Il y a le projet du gouvernement de Sèmè-City ; l’Union européenne a apporté un financement pour l’opérationnalisation du projet. Pour donner un autre exemple, le Grand-Duché de Luxembourg a une expertise matière d’écoles d’hôtellerie et de tourisme. Il y a un projet de création d’une école de tourisme et d’hôtellerie ici au Bénin.  C’est un projet notamment qui se marie très bien avec ce que l’Union Européenne propose. C’est ce qu’on appelle la « Team Europe » ou « l’équipe Europe » : Union européenne et Etats Membres travaillant ensemble.

Le Bénin fait face à de grands défis aujourd’hui dont celui sécuritaire avec les attaques répétées des terroristes. Comment l’Union européenne contribue-t-elle aux côtés de l’Etat béninois à y faire face ?

C’est en fait la dimension la plus récente de notre partenariat avec le Bénin. Comme je l’ai dit plus haut, l’Union européenne n’est pas une puissance militaire, il n’y a pas d’armée européenne, ni de police européenne, domaines qui relèvent de la souveraineté des Etats membres. Que fait donc l’Union Européenne ? Je vais tout d’abord parler d’un instrument qui a été mis en place par l’Union européenne, qui s’appelle la « Facilité Européenne pour la Paix » (acronyme FEP). Lorsque nous avons commencé à mettre en place dans les années 90 des missions de formations, d’entraînements des armées, des polices dans différents pays du monde, en Afrique, mais pas uniquement, notre politique souffrait d’un défaut majeur, à savoir que nous n’étions pas en mesure de fournir les équipements aux partenaires. Nous donnions les formations, mais pas les équipements. Nous nous sommes rendus compte qu’il y avait un hiatus qu’il fallait résoudre. C’est pour cette raison qu’a été mise en cette Facilité Européenne pour la Paix qui permet à l’Union européenne de fournir les partenaires en équipements militaires. Il s’agit d’un budget qui est extérieur au budget de l’Union européenne, où les États membres doivent contribuer à hauteur de leur PIB. Les mesures d’assistance FEP doivent être adoptées à l’unanimité par les 27 Etats membres.

Quelles sont ces mesures d’assistance ?

Le Bénin bénéficie de quatre mesures d’assistance FEP qui ont été adoptées en 2023 et 2024. Ces mesures d’assistance résultent d’un dialogue entre l’Union européenne et le Bénin concernant les besoins des Forces Armées Béninoises (FAB) pour pouvoir faire face au défi du terrorisme. Une fois les besoins exprimés, les États membres se réunissent et décident de voter les mesures d’assistance à l’unanimité. Plusieurs paramètres entrent en ligne de compte, dont bien sûr la disponibilité des équipements requis. Depuis 2023, l’UE a fourni ou va fournir un hôpital de campagne, des drones de surveillance, un avion doté d’un matériel de surveillance, un avion de transport. Ce matériel est fourni avec des formations.

L’UE et ses Etats membres ont également lancé il y a un peu plus d’un an l’Initiative de sécurité et défense des pays du Golfe de Guinée. Cette mission couvre les quatre pays côtiers que sont le Bénin, le Togo, le Ghana et la Côte d’Ivoire, qui sont confrontés aux mêmes enjeux d’insécurité terroriste dans la partie nord et la piraterie sur leur façade maritime. Il s’agit d’une mission de dimension modeste avec des modules de formations limités dans le temps (maximum quelques semaines) et répondant à des besoins exprimés par les pays partenaires. Dans chacun des 4 pays susmentionnés, la Délégation de l’UE se voit renforcée d’un conseiller militaire et d’un conseiller « police » qui sont les interfaces entre le pays partenaire et les autorités européennes à Bruxelles dans le domaine de la sécurité.

Quelle appréciation l’Union européenne fait-elle de la démocratie au Bénin aujourd’hui ?

Le Bénin est une démocratie. Vous avez eu des élections depuis 1990, vous avez eu des alternances, vous avez des partis de la majorité et des partis de l’opposition. Avec mes collègues ambassadeurs, nous avons rencontré les différents partis présents à l’Assemblée nationale. Le Bénin, pour moi, est une démocratie dans une région où la démocratie a malheureusement reculé. Nous avons vu les coups d’État militaires chez certains de vos voisins. Pour moi, le Bénin est une démocratie, vous allez avoir l’année prochaine un grand rendez-vous électoral avec trois élections, les élections législatives, présidentielles et municipales. Dans mon métier de diplomate, comme d’ailleurs mes collègues, nous rencontrons les différents interlocuteurs et nous allons suivre ces élections avec beaucoup d’intérêt et beaucoup d’attention.

Des élections générales seront organisées au Bénin en 2026. Comment l’UE se positionne-t-elle aux côtés du Bénin pour une bonne organisation de ces échéances ?

Depuis plusieurs années, l’Union européenne a des programmes d’accompagnement au Médiateur de la République et à la plateforme d’observation de la société civile. Parce que pour nous la société civile est une composante essentielle du caractère vibrant d’une démocratie.

Dans la gouvernance de Patrice Talon la lutte contre la corruption reste essentielle. Est-ce que vous sentez une amélioration sur ce plan ?

Vous devez savoir que je suis arrivé au Bénin il y a un peu plus de huit mois. Je suis donc encore dans ma phase d’observation. Je suis assez impressionné de voir ce chantier. Il y a vraiment beaucoup de choses qui bougent. Bien entendu, je dois élargir mon regard en remontant vers le Nord aussi. Je vois quand même beaucoup de choses qui bougent et je vois une vision pour le pays. Concernant votre question sur la corruption, tous les échos que je reçois vont dans le bon sens et la situation en la matière s’est nettement améliorée au Bénin. Je constate qu’aujourd’hui, le Bénin jouit à l’extérieur d’une très bonne réputation.  Et dans les indices, le Bénin a nettement progressé.

Le retour au pouvoir de Donald Trump a remis en cause les bases même du multilatéralisme. L’Union européenne continuera-t-elle à appuyer les pays en développement comme le Bénin ?

La réponse est oui, absolument. Je peux vous le dire les yeux fermés, c’est vraiment pour nous un aspect essentiel de notre politique étrangère. J’ai pu dire à maintes reprises aux autorités, à commencer par le chef de l’État, que l’enveloppe budgétaire européenne allouée au Bénin n’a pas diminué, au contraire, elle a augmenté dans un contexte de restriction budgétaire, reflétant l’excellence de notre partenariat. L’enveloppe budgétaire de l’UE pour le Bénin se monte à 257 milliards de francs CFA, auxquels il convient encore d’ajouter plus de 30 milliards de francs CFA d’équipement dans le domaine du secteur de la défense au titre de la Facilité européenne pour la paix. Je n’ai donc aucune inquiétude à ce sujet. Comme je l’ai dit, c’est un partenariat d’égal à égal. On va tout doucement arriver vers la fin du cycle budgétaire actuel, puisque ce cycle budgétaire européen se terminera en 2027. En 2026, vous aurez des élections, donc un nouveau président ou une nouvelle présidente, un nouveau gouvernement, et l’Union européenne va de nouveau s’asseoir à la table avec ce gouvernement pour définir les priorités à venir. Notre philosophie est : « unissons nos forces avec l’Union européenne, avec les États membres, avec leurs agences de développement, les banques, les partenaires économiques pour pouvoir créer une réelle valeur ajoutée ». C’est notamment la fameuse stratégie européenne d’investissement Global Gateway.

L’Union européenne va-t-elle pouvoir remplir le vide laissé par les États-Unis ? La réponse est hélas non. Nous ne pouvons pas compenser, par exemple, le secteur de la santé dans lequel l’USAID était très actif, car ce secteur n’a pas fait partie des priorités définies par l’UE et le Bénin. Peut-être au prochain cycle budgétaire européen après 2027….

Quelle appréciation faites-vous de la montée en puissance de la Russie en Afrique, particulièrement en Afrique de l’Ouest ?

La Russie n’est pas en Afrique de l’Ouest pour construire des routes, construire des ponts, contribuer à la formation des populations, améliorer leur bien-être. Les Russes sont là pour soutenir des régimes à la légitimité douteuse, en échange de matières premières. L’Afrique de l’Ouest est malheureusement redevenue, comme au temps de la Guerre froide, un terrain géopolitique où s’affrontent la Russie et l‘Occident. C’est une réalité avec laquelle nous devons vivre. Tel le bateau qui navigue à travers la tempête, nous devons maintenir le cap. Au Bénin, notre cap, c’est notre partenariat avec le gouvernement et la population pour un avenir meilleur. Quand certains pays font le choix de recourir aux mercenaires russes, c’est leur choix souverain, mais nous n’allons évidemment pas travailler avec ces armées-là. Cela ne signifie pas pour autant que nous nous retirons de ces pays. Il y a toujours une Délégation de l’Union européenne à Bamako, Ouagadougou et Niamey, mais par contre notre partenariat militaire avec ces pays est terminé, car il est inenvisageable que des formateurs européens se retrouvent avec des Russes. Ce n’est tout simplement pas possible. Voilà, c’est un choix qu’ils ont fait, c’est leur choix. Et nous en tirons les conséquences.

 De l’autre côté, il y a la percée de la Chine en Afrique. Cela ne constitue-t-il, pas une menace pour le leadership de la diplomatie de l’Union Européenne en Afrique ?

Non, pas du tout. Comme je l’ai dit tout à l’heure, c’est très bien que les Chinois investissent au Bénin et de manière générale en Afrique. Comme je vous l’ai même dit tout à l’heure, il y a même des projets qui sont mis en œuvre par les Chinois, mais qui sont en partie financés par l’Union européenne. Donc ce n’est pas un problème. 

Face à de grands conflits qui s’observent actuellement dans le monde, on se demande quelque part si une troisième guerre mondiale peut survenir. Si vous deviez surtout y répondre en tant qu’historien ?

Ma réponse directe à votre question, est : j’espère que non. Ceci dit, puisque vous parlez à l’historien, je constate malheureusement un assez grand parallélisme entre ce qui se passe aujourd’hui, en cette 3e décennie du XXIème siècle, et ce qui s’est passé en Europe dans les années 30. C’est-à-dire la montée de régimes autoritaires, un recul de la démocratie, et un recours croissant à la propagande. Aujourd’hui, on appelle cela la désinformation qui est organisée notamment par des États, États qui ne sont pas satisfaits de l’ordre international tel qu’il existe et qui ont des revendications, notamment territoriales. C’est un jeu très dangereux.

Poutine parle d’espaces spirituels à reconquérir pour le cas de l’Ukraine 

C’est un domaine très dangereux. Les Européens se sont entretués au XXème siècle pour ces raisons-là, pour des territoires, pour des questions raciales, des questions ethniques, mais aussi pour des territoires. C’est pour cela que nous avons créé l’Union européenne… pour que ces démons ne refassent plus surface ! Le problème est qu’on observe aujourd’hui une certaine résurgence de ces démons et cela me fait un peu peur. J’espère que ce ne sera pas le cas.

CARTE D’IDENTITE

Un diplomate humaniste

Dans les couloirs feutrés de la Délégation de l’Union européenne au Bénin, le Dr. Stéphane Mund, ambassadeur depuis le 1er septembre 2024, incarne une figure singulière. À 53 ans, cet intellectuel belge, historien de formation et diplomate par vocation, se définit avant tout comme un intellectuel ; « Je suis un intellectuel et ensuite un diplomate », déclare-t-il avec conviction. Derrière son regard posé et son discours réfléchi se dessine le portrait d’un homme animé par une curiosité insatiable pour le monde et une aversion profonde pour le conflit. « Moi, je n’aime pas le conflit. Je suis un homme de paix », confie-t-il, une maxime qui guide tant sa carrière que ses interactions quotidiennes.

Né le 28 janvier 1972 à Ixelles, une commune de Bruxelles, Stéphane Mund grandit dans un foyer où la culture et l’érudition sont des piliers. Fils de deux professeurs d’université – un père ingénieur en théorie des réacteurs nucléaires et une mère philologue classique – il baigne dès l’enfance dans un milieu intellectuel stimulant. Les discussions sur l’histoire, la musique et les voyages façonnent son regard sur le monde. Ses parents, en l’emmenant découvrir d’autres pays dès son plus jeune âge, lui transmettent une ouverture d’esprit qui deviendra le moteur de sa carrière. Bien qu’il reconnaisse ne pas avoir brillé en mathématiques, Stéphane Mund trouve sa voie dans les sciences humaines. Passionné d’histoire, il obtient un doctorat en histoire russe en 2001, avec une thèse portant sur « la découverte du monde russe par les Occidentaux au Moyen Âge et à la Renaissance ». Cette expertise lui confère une compréhension fine des dynamiques historiques, qu’il mobilise encore aujourd’hui pour analyser des conflits contemporains.

Après avoir enseigné l’histoire russe à l’Université de Cambridge de 2001 à 2004, il opte pour une réorientation professionnelle rejoignant, en 2004, le Ministère de la Défense belge comme analyste géopolitique, une expérience qui le prépare à réussir, en 2006, le prestigieux concours diplomatique belge. « C’est comme cela que je suis entré dans la diplomatie belge », raconte-t-il, marquant le début d’une carrière riche et variée.

La trajectoire diplomatique de Stéphane Mund est un véritable tour du monde, guidé par son désir de « découvrir le monde ». Loin de rêver des capitales européennes qu’il affectionne, il aspire à explorer des contrées moins familières. Ce rêve l’a conduit dans des pays aussi divers que l’Estonie (2007-2008), le Pakistan (2009-2013), l’Afghanistan (2012) et la République démocratique du Congo (2013-2017), où il a occupé le poste de chef de mission adjoint à l’ambassade de Belgique.

Son arrivée au Bénin, où il représente l’Union européenne, marque une nouvelle étape dans son exploration de l’Afrique. Le Bénin, premier choix parmi plusieurs options, répond à ses attentes. « J’ai quelques bons amis qui m’ont dit « tu dois aller au Bénin, c’est un pays super ». Je ne le regrette absolument pas », confie-t-il, un sourire en coin.

Au-delà des postes à l’étranger, Stéphane Mund a également occupé des fonctions de haut niveau en Belgique. De 2017 à 2020, il fut conseiller diplomatique de deux Premiers ministres, Charles Michel et Sophie Wilmès, une expérience qu’il qualifie de « privilège » et d’« honneur ». Par la suite, il représente la Belgique au Comité politique et de sécurité de l’Union européenne (COPS), où il contribue à définir la politique étrangère et de défense de l’UE. « L’initiative sécurité défense dans le golfe de Guinée, c’est nous à 27 qui l’avons décidée », souligne-t-il, illustrant l’impact concret de son travail.

Fils d’universitaires, Stéphane Mund porte un regard passionné sur l’éducation, qu’il considère comme la clé du développement. « Étudier, étudier, étudier, faire de bonnes études », martèle-t-il, un conseil qu’il adresse aux jeunes du Bénin et du monde entier. Cette conviction, nourrie par son propre parcours et ses expériences de terrain, s’exprime avec émotion lorsqu’il évoque des souvenirs marquants, comme cette visite dans la province pakistanaise du Sindh, où des enfants pleuraient la destruction de leur école.  

Au Bénin, il met cette passion au service des étudiants en proposant des cours sur l’histoire de l’Union européenne et ses actions dans le pays.  À travers son parcours, ses convictions et sa vie quotidienne, Stéphane Mund incarne un diplomate humaniste, guidé par une soif de découverte et un profond respect pour les cultures qu’il rencontre. Au Bénin, il poursuit sa mission avec la même curiosité et le même dévouement qui l’ont conduit aux quatre coins du monde

INTIMITE

Amoureux de la mer

Stéphane Mund est un homme attaché à sa famille et à des plaisirs simples. Marié et père de trois filles, il accompagne ses enfants dans leur scolarité avec la même ferveur qu’il met dans ses missions diplomatiques. Amoureux de la mer, il savoure son poste au Bénin, le premier de sa carrière au bord de l’océan. « J’adore la mer. Le bruit des vagues et les vagues ici sont assez impressionnantes », s’enthousiasme-t-il. Cette proximité avec l’eau influence ses choix culinaires : « Du poisson et des fruits de mer. Juste assez », précise-t-il, tout en ajoutant avec humour qu’il évite les plats trop épicés, qui « ne [l]’aiment pas ».

Côté hobbies, Stéphane Mund est un fervent amateur de natation, un sport qu’il pratique pour évacuer la fatigue de ses longues journées. Il s’est récemment remis au squash et nourrit une passion pour le vélo, rêvant d’une balade autour du lac Ahémé.  

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