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Une réflexion de l’Ambassadeur Jean-Pierre A. Edon : « La démocratie, socle du pouvoir et de la paix »   

Entre pouvoir, démocratie et paix, le lien est indissociable. Dans une réflexion riche, Jean-Pierre A. Edon, Ambassadeur et spécialiste des questions internationales, rappelle que la démocratie n’est pas un modèle unique, mais une construction adaptée à chaque peuple selon son histoire et sa culture. Toutefois, ses principes universels, respect des libertés, pluralisme politique, séparation des pouvoirs, alternance, en font le socle de toute gouvernance stable. Lorsqu’ils sont bafoués par des révisions constitutionnelles opportunistes, des manipulations juridiques ou la confiscation des libertés, la démocratie perd sa substance et met la paix en péril. À l’inverse, une gestion démocratique humble et respectueuse de la justice ouvre la voie à la réconciliation et au développement. Pour l’Ambassadeur Edon, préserver cet équilibre demande résilience, écoute et humilité. Lire ci-dessous l’intégralité de sa réflexion.

LE POUVOIR, LA DEMOCRATIE, LA PAIX

Entre le pouvoir, la démocratie et la paix, il existe un lien inévitable. Leur substratum est la démocratie dont il n’existe pas un seul modèle, mais plutôt des formes variées qui résultent des trajectoires historiques de structures sociales et de choix culturels. Bien cernée et située dans son contexte réel, la démocratie permet de gérer au mieux le pouvoir et de préserver la paix.

Des définitions de la démocratie

Définie comme le gouvernement du peuple pour le peuple et par le peuple, la démocratie est la forme du gouvernement dans laquelle la souveraineté appartient au peuple qui est le détenteur du pouvoir. C’est un régime politique dans lequel tous les citoyens participent aux décisions politiques par le vote.

Elle repose sur cinq piliers que sont le respect des libertés fondamentales, la séparation des pouvoirs, la tenue d’élections libres régulières, la souveraineté du peuple, le pluralisme politique.

Il n’existe pas un modèle unique auquel il faut se conformer. La démocratie japonaise, celle de l’Inde, du Botswana, du Brésil, des pays européens et américains, en sont les preuves de par leurs spécificités inspirées de leurs histoires et cultures. Chaque peuple, chaque histoire, chaque système de valeurs donne à la démocratie une forme particulière. De là découlent les types de démocratie dite directe, participative, libérale, représentative, athénienne, populaire.

Ce qui unit ces différentes variétés d’expériences démocratiques, ce n’est pas une forme identique, mais plutôt un socle partagé de principes : primauté de droit, séparation de pouvoirs, respect des règles du jeu politique et des droits de l’homme et surtout la résilience démocratique.

D’après Ahandeci Berlioz, la vraie démocratie n’est pas celle qui flatte l’égo des élites, c’est celle qui apprend à perdre avec dignité, à protester sans détruire, à faire Nation même dans le désaccord.

Ainsi établi, ce système politique, le moins mauvais jamais connu à nos jours, est de nature à préserver la paix, à faciliter la réconciliation et booster le développement si le pouvoir qui en découle est bien géré. Pourquoi alors dans de nombreux pays africains qui se réclament de ce système politique, la paix est menacée au point où le concept de réconciliation devient un programme politique, voire un slogan à la mode ?

L’une des causes de troubles à la paix

A cette question, le professeur ivoirien Yode Simplice Dion a tenté de répondre en des termes simples suivants : les fondateurs de la démocratie sont partis du principe que le pouvoir est dangereux. Comme il est dangereux, on ne le donne pas à une seule personne, on ne le donne pas à quelques personnes. On le donne au peuple.

Ce pouvoir-là, on ne le donne pas à quelqu’un tout le temps d’où la logique de l’alternance. Si cela est ainsi compris, on est dans une démocratie dynamique. Mais, c’est quand on a peur de l’alternance qu’on est dans la logique que ‘’ après moi, c’est moi’’. Voilà toutes les difficultés que nous avons.

Quand on est dans la logique que ‘’ après moi c’est toi, après toi c’est lui ‘’, vous verrez qu’on va mieux respirer en Afrique, parce qu’un parti qui sait que tel président n’a que 10 ans à faire, fera tout pour gagner la paix et la réconciliation. Quand on veut gagner la paix, on se tient loin des extrêmes. La paix n’est pas un extrême, la paix est un maximum, c’est différent.

Il ressort des propos de ce professeur ivoirien que l’une des causes des menaces à la paix, est le non-respect des règles démocratiques par le système de création de nouvelles républiques qui remet le compteur à zéro, découlant des révisions opportunistes des constitutions. Cette astuce juridico-politique permet de s’éterniser au pouvoir en ignorant volontairement le principe de l’alternance qui est l’un des piliers de la démocratie. Or la longévité au pouvoir n’a jamais été une solution aux problèmes des populations et du pays.

Pour y parvenir, on n’hésite pas à confisquer les libertés démocratiques surtout la liberté d’expression. Faisant allusion à cette pratique, le héros national Nelson Mandela qui a été privé de libertés pendant 27 ans à cause de son opinion politique disait : « un vrai leader utilise chaque occasion pour écouter ceux qui pensent autrement, surtout quand il s’agit de la voix du peuple ».

Abondant dans le même sens, John Stuart Mil, parlant des droits de l’homme, soulignait que « la liberté d’expression est le fondement de tout progrès. Le supprimer revient à empêcher la vérité de triompher ».

Confinement du peuple au silence par des mesures légales et la force

La mauvaise gouvernance démocratique cachée sous l’ombre des lois et avec les couleurs de la justice, finit par créer un climat de la peur qui cloue le peuple mécontent au silence. A tort on assimile l’inaction et le silence à la paix. Réagissant à cette ambiance malsaine, la togolaise Maryse Quashie déclarait dans un quotidien de la place en décembre 2021 que : << ni le silence imposé par la force, ni l’indifférence, ne sont sources de paix. La paix rime avec la liberté et la justice, la paix exige amour et confiance ».

Un peuple contraint au silence par la force et les manigances juridico-légales devient dangereux en ce sens que le pouvoir ne sait plus ce qu’il pense de sa gouvernance. C’est finalement dans les urnes que les citoyens qui cachaient leur mécontentement et déception, se prononcent en sanctionnant les dirigeants. Cela suppose, bien entendu, que la vérité des urnes est reconnue. En Afrique les élections truquées et frauduleuses sont légion, notamment dans les pays où l’alternance n’a pas de sens, ce qui fait dire que la démocratie est prise en otage.

En définitive, la paix qui selon le président Félix Houphouet- Boigny n’est pas un vain mot, mais un comportement, devient difficile à restaurer à cause de l’injustice. Il est alors recommandé de faire de la justice, celle qui traque et punit les vrais coupables et non les innocents victimes des considérations politiques, la justice étant instrumentalisée.

Si à chaque instant, le pouvoir pouvait penser à son vrai détenteur qu’est le peuple compétent pour le lui reprendre à tout moment, des abus pourraient être évités, au moins sensiblement réduits, et la démocratie irait en se perfectionnant avec la consolidation de la paix.

L’être humain semble oublier qu’à part Dieu qui est éternel, le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours fort éternellement. Aussi, l’homme politique exerçant le pouvoir, gagnerait-il à être humble quels que soient son niveau, son intelligence et sa qualité de vie car « la puissance, la beauté et la gloire ont aussi une fin ». Mieux, Dieu résiste aux orgueilleux, mais fait grâce aux humbles.

Appréciation générale et intérêt du pardon en démocratie

De l’analyse ci-dessus brièvement faite, il apparait clairement les relations étroites existant entre le pouvoir, la démocratie et la paix. Ne pas prendre en considération cette vérité de la Palice, reviendrait à commettre une erreur grave avec de lourdes conséquences.

 En effet la gestion efficiente du pouvoir selon les normes démocratiques est une garantie pour la préservation de la paix sans laquelle le développement ne serait qu’un vœu pieux. Ayons toujours présent à l’esprit que << le plus grand général est celui qui gagne sans livrer la bataille, en convainquant plutôt qu’en combattant » (Sun Tzu}. La résilience démocratique implique la persuasion, la conviction, l’écoute et non la force et les menaces pour faire passer une idée, un programme politique.

La démocratie n’est pas une chose acquise une fois pour toutes, elle a besoin d’être entretenue et consolidée sans cesse. Kofi Annan, ancien secrétaire général des Nations-Unies l’a défini comme « n’étant pas seulement un bien en soi, mais aussi le système le plus propice à la paix, au développement inclusif et au respect des droits humains ». Dans ce cadre, il est évident que toute action physique ou morale de valeur a un prix. Les droits humains convergent avec la rémission et rejettent les représailles, la vengeance.

C’est la raison pour laquelle Nelson Mandela qui a le plus souffert du régime de l’apartheid, a pardonné ses bourreaux parce qu’il a compris que le pardon était le prix de la paix dans son pays. Les évènements lui donnent raison aujourd’hui. Aussi le pouvoir, la démocratie, la paix ont-ils besoin de cet outil social et moral. Mais seuls les hommes forts et humbles débarrassés de l’esprit vindicatif en détiennent la clé qui est pourtant utile pour une bonne gouvernance démocratique.

Jean-Pierre A. EDON

Ambassadeur, spécialiste des questions internationales.

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